Retour à l'Ouest
juif, porté
fusillé « par crainte de la répression », fut, en réalité, jeté d’une
fenêtre de la Maison brune [238] .
Le commerçant juif Kotani était également porté sur la liste des suicidés ;
sa femme, ayant eu le courage de s’enquérir des détails de sa fin dans les
bureaux de la Gestapo, se trouva en présence d’un fonctionnaire qui, feuilletant
le dossier, lui dit négligemment : « Vous avez raison, madame, votre
mari ne s’est pas suicidé. Il a été tué en cours de tentative d’évasion. »
Le docteur Fassier, arrêté jeune et bien portant, sort de
prison, au bout de peu de temps, atteint d’une mystérieuse maladie à laquelle
il succombe. Le directeur de la police Wentz et le commissaire Bernegger ont
été, selon la version officielle, « abattus en cours de tentative d’évasion ».
Le comte Ferrari, directeur de la police de Graz, a disparu sans que l’on sache
quelle a été sa fin. Le gouverneur de la Styrie, Stépan, a eu un sort analogue…
Prisons bondées. Avant les dernières arrestations en masse, il
y avait déjà 50 000 prisonniers politiques. La servilité envers le parti
vainqueur n’assure ni la vie ni la liberté. Un des traits caractéristiques des
formes actuelles de la barbarie, c’est qu’elles se retournent spontanément
contre ceux-là mêmes qui les apportent… Les fusilleurs sont fusillés par leurs
chefs de la veille. Les adulateurs des chefs rejoignent en prison ceux qu’ils
dénoncèrent la veille. Un rédacteur du
Telegraf
est arrêté en train d’écrire un article à la gloire du
Führer
… Une logique implacable préside
à ces choses. Rien n’est fini.
Par son absurdité, par son insanité, la persécution des
Juifs me paraît bien témoigner, dans ce cauchemar, d’une régression du
sentiment humain à des siècles et peut-être à des millénaires en arrière.
Sans doute, les pages noires fourmillent dans l’histoire :
on en trouve pourtant peu d’aussi basses. Basses, jusqu’à l’inexplicable. Le
long des siècles, on a tué, torturé, outragé, enchaîné, réduit à l’esclavage les
vaincus des guerres de tribus, puis des guerres sociales. Jamais encore, on n’avait
vu infliger pareil traitement, en temps de paix, à un peuple paisible qui n’a
point fait la guerre, n’a point résisté, n’a commis d’autre crime que de vivre…
Des Juifs arrêtés au hasard sont tenus d’accomplir des travaux rebutants :
nettoyage des casernes, vidange… Des jeunes Juives, à peu près nues, ont été
obligées de servir les soldats dans les casernes. On a fait ramper des Juifs
sur les places publiques. On les a fait marcher sur les genoux. On les envoie, esclaves,
dans les carrières de Styrie, où la main-d’œuvre fait défaut. Les riches sont
séquestrés et invités à renoncer à tout leur avoir. Les détails de certaines
brimades et de certains supplices sont tellement atroces que la presse tchèque,
des mieux informées, refuse de les publier.
(Le vieux Sigmund Freud, à qui l’humanité doit tant de
lumière sur elle-même, n’a pu quitter l’Autriche qu’à la suite de pressantes
interventions de l’étranger ; les savants américains auraient consenti à
payer pour lui une forte rançon… Un Rothschild est séquestré et l’on
négocierait avec sa famille le paiement d’une rançon proportionnée à son
importance… Ces faits ont été assez largement publiés.)
Persécution des socialistes.
Persécution des catholiques.
Monseigneur Innitzer s’est humilié
en vain devant le plus fort, selon la coutume de l’Église, invariablement
complice des tyrans. Persécution des officiers suspects de patriotisme, traités
à peu près comme les Juifs. Épuration raciste des écoles, de la presse, du
cinéma, des librairies. La suspicion s’est même abattue sur les nazis autrichiens…
Personne ne sait au juste ce qu’est devenu le chancelier Schuschnigg . Ce mystère, sur la disparition d’un homme
d’État, nous ramène aux mœurs du début de la Renaissance : à quatre
siècles en arrière. Par peur du socialisme, l’Europe bourgeoise, tout entière, même
libérale, démocratique, radicale – tant que l’on voudra dans le domaine des
mots –, a laissé, en des jours d’hiver, l’an 1934, la bourgeoisie catholique d’Autriche
canonner les habitations ouvrières, fusiller des socialistes, pendre un Koloman
Wallisch, abolir toutes les libertés ouvrières. Elle espérait, dans son
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