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Retour à l'Ouest

Retour à l'Ouest

Titel: Retour à l'Ouest Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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aujourd’hui
singulièrement clairvoyantes.
    L’époque est tragique, le socialisme allemand, terriblement
divisé, affronte un destin nouveau auquel son passé ne l’a guère préparé. Il a
bâti de puissantes organisations dans l’ordre et la sécurité. Et voici que
sonne pour lui l’heure des plus grandes audaces. La plupart de ses dirigeants
voudraient faire l’économie d’une révolution violente. Par-dessus tout l’Allemagne
redoute l’invasion ou la prolongation du blocus. Une république révolutionnaire
ne serait-elle pas aussitôt bloquée ou envahie par les Alliés qui s’apprêtent à
dicter la paix de Versailles ? Le parti social-démocrate indépendant, formé
par la gauche de la vieille social-démocratie, se déclare, lui, partisan de l’action ;
une poignée de marxistes intransigeants, révolutionnaires de toujours, vient de
fonder le parti communiste. Lénine leur a envoyé Karl Radek, dont les conseils
sont d’une grande modération. Temporiser, s’affermir, craindre les initiatives
prématurées, se défier des provocations ! Seulement, la misère des masses
populaires est immense – et quelle plus puissante agitatrice ? Seulement, dans
la désorganisation de la société où le pouvoir semble tomber de lui-même aux
mains des socialistes, où les mesures extrêmes semblent mûrir d’elles-mêmes, des
forces redoutables se cherchent et ce sont celles d’une contre-révolution prête
à tout risquer puisqu’elle n’a plus rien à perdre. Des dizaines de milliers d’officiers,
amers et sans le sou, revenus des fronts de la défaite pour voir s’effondrer à
l’arrière les hiérarchies sociales qui leur promettaient un avenir, sont
maintenant disposés à courir les aventures les plus risquées. Le 6 janvier, devant
l’effervescence révolutionnaire grandissante, les chefs militaires désemparés
offrent la dictature à Gustav Noske, social-démocrate de droite, qui l’accepte
sans se dissimuler qu’il va falloir verser le sang du peuple. Il l’a confessé
dans ses Mémoires en termes odieux et navrants. Pour lui, l’Allemagne est à
sauver du chaos : car il est de ceux qui ne voient ni qu’un ordre
différent est en germe dans le chaos d’une révolution ouvrière ni que les
instruments de la répression (il n’y en a pas d’autres que les bandes
militaires) ne manqueront pas, tôt ou tard, d’abattre la démocratie… Le conflit
éclate soudainement à Berlin, après que la police a ouvert le feu sur une
manifestation des social-démocrates indépendants et des communistes, que l’on
appelle encore les « spartakistes » ; l’indépendant Emil Eichhorn , préfet de police de Berlin-rouge, destitué,
refuse de s’incliner. Une confuse bataille s’engage ; le Comité central du
PC, ne se sentant pas suivi, voyant le gros des masses attaché à la
social-démocratie modérée, hésite et ne prend finalement aucune initiative. Karl
Liebknecht, qui a plus de passion à cette heure que de sens politique, le met
devant le fait accompli en déclenchant l’action révolutionnaire avec le leader
des social-démocrates indépendants, Georg Ledebour . Il
faut bien le dire, l’inexpérience, la fougue et l’indiscipline de Liebknecht
ouvrent l’insurrection au plus mauvais moment. Deux cent mille prolétaires, consentant
d’avance à tous les dévouements, vont piétiner des heures durant, sous la pluie,
les allées mornes du Tiergarten. Nul ne sait que faire. « Si ces foules, dit
Noske, avaient eu des chefs… elles eussent été maîtresses de Berlin avant midi… »
Rosa voit clair, mais ne peut rien. Elle est seule. « Non, conclut-elle, ces
masses n’étaient pas mûres pour la prise du pouvoir… » Faute d’une pensée
directrice, faute d’hommes capables de lui donner une conscience et un système
nerveux, l’insurrection prématurée avorte en émeute et l’émeute succombe sous
les bottes des
feldwebels
[264] … Dès le
lendemain, des hommes casqués se mettent à chercher dans Berlin Karl et Rosa, les
deux plus grandes figures d’un socialisme révolutionnaire encore tâtonnant et
maladroit, mais que la réaction prévoyante est pressée de décapiter…

Disparition à Moscou
    21-22 janvier 1939
    Pardonne-moi, camarade lecteur, si ces chroniques de Russie
te paraissent monotones. Je n’y puis rien. J’éprouve souvent, devant la feuille
blanche, avant d’écrire pour te parler, un sentiment bien amer. Une sorte de
découragement.

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