Retour à l'Ouest
d’Afrique
menacé dans l’immédiat. On a commencé de s’en rendre compte.
Le Temps
de ce 23 janvier parle des « positions
compensatrices » que la France aurait « l’impérieux devoir de s’assurer »
si « des établissements étrangers subsistaient en Espagne ». Mais
quelles « positions » pourraient faire contrepoids à une Espagne de
servitude qui se reconstruirait sous la forme d’une vaste fabrique d’armes et
munitions pour imposer avec les impérialismes totalitaires un nouveau partage
du monde ?
De la prise de conscience devenue inéluctable, de cet
immense péril pour les vieux empires, le salut de la République espagnole peut
encore résulter. Les quinze jours à venir décideront de bien des choses. Il n’est
pas improbable que Barcelone devienne aussi imprenable que Madrid. À leur tour,
les forces de l’assaillant sont fourbues, leur matériel usé. Notre génération a
vu quatre exemples de situations stratégiques retournées en des circonstances
analogues : Paris sauvé sur la Marne en 1914 [270] ; Ioudénitch
vaincu sous Petrograd en 1919 [271] ;
Toukhatchevski vaincu sous Varsovie en 1920 [272] ;
Franco vaincu sous Madrid en 1936 [273] .
Que faut-il aujourd’hui à Barcelone pour se sauver elle-même ? Du pain, des
médicaments, du matériel.
Le même numéro du
Temps
,
dans une longue correspondance, trace un sobre tableau de Barcelone sans vivres
ni médicaments, sans gîtes, sans repos, où l’aviation hitlérienne expérimente
de nouvelles bombes qui tuent les gens couchés à ras de terre, où le métro n’est
plus qu’un vaste abri bondé de rescapés, mais où le travail de la résistance
continue, où les survivants des massacres ont patience quand ils sont
désespérés et confiance tant qu’ils ne sont pas désespérés.
Le Temps
se félicite, comme de bien
entendu, que la République ait « écrasé les éléments extrémistes
anarchistes en mai 1937 ». On saura plus tard de quel poids les victoires
politiques remportées à l’intérieur dans cette guerre sociale sur « l’extrémisme »
anarchiste ou marxiste, peu importe, ont pesé dans la balance de la défaite. Car
l’élément que les réactionnaires – et les modérés, qui sont souvent des
réactionnaires honteux – appellent « extrémiste » est en réalité, quand
il s’agit de masses, le plus viril, le plus passionné de justice sociale :
et le désarmer, pour une République dont la raison d’être est précisément qu’elle
promet plus de justice et de liberté, n’est-ce pas se désarmer elle-même ?
Mais n’évoquons pas ici les erreurs et les fautes – et pis –, dictées, du reste,
le plus souvent de l’extérieur, par la peur des masses socialistes. La seule pensée
qui soit de mise en ce moment doit être de solidarité totale avec notre
Catalogne blessée, depuis trente ans à la pointe du mouvement ouvrier d’Europe.
On y fusillait Francisco Ferrer le 13 octobre 1909. Elle formulait en 1917 avec
Salvador Seguí, plusieurs mois avant l’Octobre russe, son programme de
transformation sociale. De ses mains nues, elle désarmait l’armée fasciste le
19 juillet 1936. Avec les Brigades internationales, les hommes de ses deux
centrales syndicales sauvaient Madrid quatre mois plus tard. Ses militants se
sont souvent trompés, ils n’ont jamais renoncé à la tâche. Elle nous a donné à
tous l’exemple de ses Ascaso , de ses Durruti, de ses Berneri,
de ses Andrés Nin, pour ne nommer que des morts – à qui l’hommage du souvenir
est bien dû ! Les vivants, camarades, il leur faut, il leur faut tout de
suite du pain, des médicaments, du secours, du secours !
Édouard Berth
9 février 1939
Édouard Berth vient de mourir à
soixante-quatre ans. Nous correspondions de loin en loin depuis une quinzaine d’années,
nous ne nous sommes vus qu’une fois – mais je n’oublierai plus son fin visage
allongé par une soyeuse barbe blanche, son regard aigu, l’extrême intelligence
exprimée par ses traits, ses gestes et sa voix même. Le mouvement ouvrier le
connaît peu parce qu’il se connaît peu lui-même. Berth était du petit nombre de
ces grands intellectuels qui, s’étant une fois donnés sans retour à la classe
ouvrière, n’ont plus cessé de penser avec elle, pour elle. Fidèlement disciple,
en cela aussi, de son maître et ami Georges Sorel dont l’ambition essentielle
fut « d’être un serviteur du prolétariat ». Des
Weitere Kostenlose Bücher