Retour à l'Ouest
d’être
paralysés et décimés par une sorte de contre-révolution intérieure – qui, pour
les vaincre, a surtout usé de leur propre dévouement, – on ne peut s’empêcher
de conclure que le plus fou serait encore de désespérer de ces hommes, de ce
pays, de cette révolution.
Sur le drame espagnol…
11-12 mars 1939
Tant que l’espoir d’une victoire subsista pour la République
espagnole – et avec elle pour les travailleurs de la péninsule – nombreux
furent ceux qui, connaissant les péripéties intérieures de la tragédie, hésitèrent
à en parler autrement qu’entre initiés. Je fus de ceux-là, bien que le devoir
du silence – ou du demi-silence – m’ait souvent été lourd. En réalité, la
victoire sur le fascisme dépendait largement du régime intérieur de la
République. Il fallait, de toute évidence, que cette République ne fut point
réactionnaire : qu’elle accordât, au contraire, à tous les travailleurs, des
réformes de structure, des réformes révolutionnaires qui leur eussent donné
conscience de se battre pour un présent amélioré et pour un avenir meilleur. Libéraux
et radicaux – partis bourgeois – le comprirent fort bien : et je me
souviens des déclarations catégoriques faites dans ce sens par le président Azaña et par le président de la Généralité de Catalogne,
M. Companys . Celui-ci offrit d’ailleurs aux
anarchistes la totalité du pouvoir : et les anarchistes déclinèrent cette
offre car, adversaires par système de l’action politique et de l’État, ils n’eussent
su que faire du pouvoir… Seconde condition capitale de la victoire, il fallait
entre les groupements antifascistes, si différents qu’ils fussent, républicains
bourgeois, socialistes de nuances diverses, communistes, opposants de droite et
de gauche réunis dans le POUM, syndicalistes, anarchistes, staliniens, il
fallait entre tous et par-dessus tout une solidarité de combat devant l’ennemi
commun. Liberté d’opinion, de discussion, de polémique, d’opposition, certes, mais
dans un esprit de fraternité excluant le mensonge, la calomnie, l’oppression, le
kidnapping, l’assassinat. Ces deux conditions remplies, le peuple espagnol
pouvait faire face à l’intervention étrangère et au fascisme avec le maximum d’énergie,
c’est-à-dire le maximum de chances de succès.
Il faut bien dire – aujourd’hui que le changement politique
survenu à Madrid, après la terrible défaite de Catalogne [289] , jette une
lumière brutale sur certains faits – que le plus grand malheur, pour l’antifascisme
espagnol, ce fut d’être lié aux répercussions du drame russe. Quand Largo Caballero , dès fin 1936, songea à constituer un
gouvernement ouvrier, syndical, c’est l’ambassadeur de l’URSS Rosenberg qui intervint pour l’en empêcher. Dès les
premiers mois de la guerre civile, le PC stalinien exigeait le respect de la
propriété capitaliste et annonçait que les anarchistes, qui fournissaient alors
le plus gros effort dans les milices, seraient matés par la force. Plus
révolutionnaire, M. Azaña signait des décrets portant confiscation des
biens des propriétaires fascistes. Le PC se fit le protagoniste du retour à la
démocratie capitaliste, c’est-à-dire de la liquidation de la révolution
espagnole, parce que Staline ne voulait ni d’une Espagne socialiste, dont l’exemple
eût risqué de réveiller les travailleurs de Russie, ni d’une République trop
avancée, qui eût échappé à son contrôle politique et suscité des complications
politiques fâcheuses pour le pacte franco-soviétique. Donner à la République
une physionomie conservatrice (pour « rassurer Londres et Paris » :
et l’on en voit les résultats !), c’était déjà l’affaiblir beaucoup, socialement :
car pour qu’un peuple se batte bien, il faut qu’il ait de sérieuses raisons de
le faire et l’on peut affirmer sans crainte d’être contredit que personne en
Espagne n’entendait se faire tuer pour revenir au régime social qui avait
engendré le franquisme. Mais enfin, les travailleurs pouvaient se dire qu’après
la victoire la physionomie de la République changerait d’elle-même : à
Londres et Paris, les financiers le savaient bien et c’est pourquoi ils ne se
laissaient pas « rassurer », ils donnaient la préférence à Franco, malgré
les inconvénients de l’ingérence italo-allemande. La démocratie espagnole, par
contre, fut
Weitere Kostenlose Bücher