Retour à l'Ouest
bourgeois prirent une
décision audacieuse : ils abdiquèrent en faveur de la dictature du
prolétariat, espérant avec raison que celle-ci pourvoirait mieux à la défense
de la nation et que la révolution ferait réfléchir les vainqueurs. Béla Kun
sortit donc de prison pour devenir président d’un Conseil des commissaires du
peuple qui réunissait des communistes et des socialistes.
La république des soviets de Hongrie vécut quatre mois, du
22 mars au 1 er août 1918 et fut, contrairement aux légendes
répandues par les auteurs réactionnaires, aussi féconde en initiatives que
clémente à ses ennemis de l’intérieur. Des armées rouges, principalement organisées
par les syndicats, repoussèrent les offensives tchèque, roumaine, serbe et
portèrent leurs drapeaux en Slovaquie… Béla Kun, au pouvoir, manqua semble-t-il
d’énergie dans la résistance à la contre-révolution qui conspirait presque
ouvertement, commit de grandes fautes en politique agraire, se laissa
finalement tromper par une manœuvre diplomatique de Clemenceau. Les Alliés faisaient
naturellement le blocus de la Commune hongroise ; ils exigèrent des
Soviets de Budapest l’évacuation de la Slovaquie, Béla Kun céda, croyant trouver
ainsi le chemin de la paix. Les Roumains prirent peu après l’offensive, dans le
midi, et marchèrent sur Budapest. Béla Kun, vaincu, démissionna, faisant place
à un gouvernement syndical que les ligues d’officiers chassèrent du pouvoir
quelques jours après l’occupation de Budapest par les Roumains. L’amiral Horthy
constituait dans les fourgons de l’étranger, un gouvernement militaire. La
terreur blanche commença. Elle fut horrible, selon l’usage. On estime à 10 000
environ le nombre de travailleurs massacrés ; à 70 000 celui des
emprisonnés…
Béla Kun avait fui en Autriche ; Lénine lui offrit l’asile
à Moscou. Il y vint, fut élu membre de l’Exécutif de la III e Internationale,
repartit pour l’Allemagne afin de préparer à Berlin la malheureuse et même
malencontreuse tentative insurrectionnelle de mars 1921 ; prit part, un
peu plus tard, à la campagne de Crimée, qui se termina par l’écrasement de l’armée
blanche du baron Wrangel… Ses faiblesses passées le rendaient odieusement dur. En
Crimée, le nom de Béla Kun reste lié aux exécutions en masse de prisonniers
blancs…
Dans les milieux dirigeants de Moscou, Béla Kun avait plutôt
mauvaise réputation : indécis à Budapest, aventureux à Berlin, féroce à
Sébastopol, on le savait, dans son propre parti, accoutumé à l’intrigue, à la
corruption, à l’usage de moyens sans grandeur… Il n’appartint jamais à aucune
opposition ; le Bureau politique eut par contre à le défendre maintes fois
contre l’opposition au sein du parti communiste de Hongrie. Le temps passait. À
Budapest et dans la campagne hongroise, Béla Kun, quels que fussent ses défauts,
quelles qu’aient été ses fautes, devenait un personnage légendaire… Diabétique
et de plus en plus écarté de la direction de l’Internationale, il vivait à Moscou.
En mai 1937, le Guépéou l’arrêta avec la plupart des vieux
membres de l’Exécutif de la III e Internationale et de la Commission
internationale de contrôle. Ces hommes, liés à la génération de Lénine, que l’on
fusillait, devaient disparaître avec elle. Walter Krivitsky nous donne
maintenant dans le
Saturday Evening Post
de Philadelphie quelques précisions sur le sort de Béla Kun dans sa dernière
prison. On l’enferma à Boutyrki, dans une salle qui contenait 140 prisonniers, tellement
serrés les uns contre les autres qu’ils ne pouvaient ni marcher ni étendre les
jambes en se couchant… Accusé d’être « un agent de la Gestapo », invité
à passer les aveux rituels, Béla Kun s’y refusa obstinément. La torture même ne
vint pas à bout de son désespoir. Krivitsky relate qu’on obligea l’ancien
dictateur soviétique de Budapest à subir debout jusqu’à vingt heures d’interrogatoire…
Quand on le ramenait à la salle commune, ses pieds enflés ne le supportaient
plus ; il fallait qu’on le soutint. Comme lui, en même temps que lui, deux
vieux bolcheviks enfermés à la même salle refusèrent de s’avouer des traîtres :
l’ancien marin Mouklévitch, commandant en chef de la flotte rouge, chargé de la
direction des chantiers de construction maritime, et Knorine, membre du Comité
central stalinien. Mouklévitch
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