Retour à l'Ouest
lettres ;
le vieux monde a souvent ravalé bien bas cette profession-là. Mais quand on s’est
imposé par des œuvres fortes, quand on a paru se dégager, précisément par le
souci de la plus cruelle vérité, de la vaine littérature, on doit aux hommes
qui ont accueilli vos messages, qui vous ont cru, certains comptes. Quand on
les a lourdement trompés, quand on leur a fait admettre crime sur crime, par un
aveuglement encore inexpliqué, on leur doit, si l’on a été trompé soi-même, une
courageuse explication. Car on n’échappe au mépris que par le courage. Et nous
sommes entrés, tous, même ceux qui n’étaient pas dignes, malgré eux ceux-là, dans
le temps du courage… Et si M. Malraux et d’autres écrivains qui ont suivi
les mêmes tristes chemins que lui ne donnent aucune explication –
maintenant
–, nous saurons
qu’ils ne peuvent pas
en donner…
Destin des communistes polonais *
11 octobre 1939
Que la collusion Hitler-Staline ait été de longtemps
préméditée, ou, plus exactement, souhaitée par le bureau politique de Moscou, bien
de fortes raisons nous portent à le croire… Le certain, c’est que les choses se
sont passées tout comme si la monstrueuse alliance du nazisme et du stalinisme
avait été préparée en URSS de longue main. Les épurations sanglantes des trois
dernières années revêtent à la lueur des événements actuels une signification
terriblement claire. De toute évidence, il fallait, pour que le Secrétaire
général pût mettre sa main dans celle d’un envoyé du Führer, rayer du nombre
des vivants la plupart des combattants de la révolution russe, tous les
collaborateurs de Lénine, tous les vieux socialistes, en un mot, que ce
reniement du socialisme eût révolté… Il y aurait beaucoup à dire là-dessus et
nous y reviendrons. Ne nous arrêtons aujourd’hui que sur le destin des
communistes polonais.
Le parti communiste de Pologne fournit aux cadres de la III e Internationale et aux services secrets de l’État soviétique à l’étranger bon
nombre d’hommes dévoués ; les socialistes polonais jouèrent dans la
révolution russe un rôle marquant que les noms de Dzerjinski, Markhlevski, Menjinski,
Ounschlicht suffisent à rappeler. Comme les autres partis bolcheviks, le PC de
Pologne traversa une suite de crises intérieures ; mêlé de plus près à la
vie russe, il en subit plus rigoureusement les répercussions. En 1929, au
lendemain de la lutte que Staline dut soutenir, pour s’emparer du pouvoir, contre
les oppositions de gauche et de droite, les leaders du PC de Pologne, considérés
comme sympathisant avec Rykov et Boukharine, furent invités à se rendre à Moscou
et, de là, déportés dans des villes de province ; ce fut le sort de Warski,
vétéran du mouvement ouvrier, qui fut un compagnon de lutte de Rosa Luxemburg ;
ce fut le sort de Kostrjewa ; la direction du parti fut confiée à Lenski.
Dès 1934, les émigrés communistes polonais réfugiés à Moscou
connurent la terreur. Jarski et sa femme, Matséevskaya, militants venus au
communisme en 1920, du parti socialiste polonais, tous deux appartenant aux
cercles dirigeants du PC furent arrêtés avec le député à la diète de Varsovie
Sokhatski, l’organisateur du parti paysan indépendant Voévoudsky et trois
membres du comité central du PC : Klonovitch, Khrostel, Ioulsky-Buchshorn.
Tous accusés d’avoir été des « agents de Pilsudski » furent passés
par les armes sans procès. Le poète prolétarien Vandourski, directeur du
théâtre polonais de Kiev, et Antoine Werner (Techner), membre du comité central
des Jeunesses communistes polonaises eurent la même fin : ils avaient été
en relations avec les fusillés de la première charrette.
Le groupe Lenski les avait calomniés, dénoncés, déshonorés, poussés
sous les revolvers des bourreaux. On appelait quelquefois Lenski « le
Staline polonais ». Son tour vint pourtant en 1938. Ses amis commencèrent
à disparaître sitôt que le chef du Guépéou, Heinrich Iagoda eut été révoqué, puis
emprisonné (on sait qu’il fut jugé en même temps que Rykov et Boukharine et
comme eux fusillé). L’écrivain Bruno Jasieński, autrefois expulsé de
France après y avoir publié un mauvais roman intitulé
Je brûle Paris
[335] , disparut le
premier. Il avait été lié avec le neveu de Yagoda, Léopold Averbach, qui exerça
pendant quelques années une sorte de dictature dans les milieux
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