Retour à l'Ouest
pèsera de tout son poids en faveur de la reconstitution d’une Pologne
réellement indépendante. Et, si cruellement hypocrites que soient, en ce moment,
les déclarations de neutralité qu’elle diffuse à l’instant précis où ses chars
d’assaut s’élancent sur les routes de la Pologne, elles contiennent, nous semble-t-il,
une indication sérieuse à noter. Staline ne fait que son propre jeu, en tout
ceci. Il le fait à sa coutume, sans bonne foi, sans scrupules, sans souci
humain, en chef d’une contre-révolution réduite à reprendre jusqu’à la
tradition impériale de l’ancien régime. Mais, d’abord, il se défie de Hitler, mais
ensuite, il n’entend point participer à une guerre générale.
Voici pour quelles raisons.
Le régime stalinien a certainement une conscience très aiguë
de sa faiblesse intérieure, les sanglantes répressions des dernières années le
prouvent assez. Pas de réserves de vivres chez l’habitant ; pénurie ou
disette d’articles manufacturés depuis une dizaine d’années ; bas salaires
dans les villes, bas revenus dans les campagnes, manque de bétail ; instabilité
du statut de l’agriculture collectivisée subi par les paysans avec une évidente
mauvaise volonté ; mécontentement des huit dixièmes de la population, pour
cause de pauvreté, de fatigue, d’oppression, voire de terreur ; tendances
séparatistes latentes au Caucase, en Asie centrale, en Ukraine ; délabrement
des voies ferrées, indigence du réseau routier… Chacune des lignes que nous
écrivons là, nous pourrions les justifier par des chiffres et bien d’autres
données : nous l’avons d’ailleurs fait en divers ouvrages (que l’on
veuille bien rouvrir
Destin d’une
révolution
[330] ).
Au total, elles révèlent un organisme social susceptible de fournir, grâce à
une vigueur et à un dynamisme que nous ne contestons pourtant pas, un gros
effort pendant un laps de temps assez court, à peu près certain de s’effondrer
en cas d’effort prolongé.
Staline, le sachant, ne s’attaquera donc qu’aux plus faibles :
en ce sens, il suspend sur les États baltes et, peut-être, sur la Roumanie une
menace grave.
Vis-à-vis du III e Reich, son action a de
multiples aspects. Il ne peut pas souhaiter – on s’en rend compte – l’accroissement
de la puissance nazie. Il ne veut pas non plus d’une révolution en Allemagne. L’accroissement
de la puissance hitlérienne constituerait pour lui un immense danger immédiat. La
chute du nazisme ébranlerait par contre les bases mêmes du totalitarisme russe.
Une démocratie allemande, qui ne saurait être que d’esprit socialiste, surgissant
sur les ruines accumulées par Hitler, parlerait aux peuples des Russies un
langage qu’ils ne sont que trop disposés à entendre. Les dictatures
totalitaires sont involontairement solidaires, à un degré profond que le
présent indique déjà, que l’avenir révélera. Celle de l’URSSne peut, par conséquent,
avoir vis-à-vis de celle du III e Reich qu’une attitude complexe que
nous définirons en ces termes : méfiance, collaboration économique
restreinte (payez comptant !), complicité quand s’y prêtent les
circonstances, vigilance dans l’égoïsme.
Ajoutons à cela les raisons d’idéologie : le peuple russe,
nourri d’antifascisme par la propagande officielle, aspire en outre – et c’est
beaucoup plus important – pour son propre compte, à des institutions
démocratiques de caractère socialiste ; sa sympathie instinctive est dès
lors assurée aux pays démocratiques, c’est-à-dire à ceux où les travailleurs
ont des droits effectifs. Les propagandes officielles, on les retourne, on les
bouleverse par circulaires ; les aspirations de masses jeunes en proie aux
privations, tenaillées par l’arbitraire administratif et policier, et qui se
souviennent d’une révolution, constituent un facteur social dont la dictature
des fusilleurs ne saurait méconnaître l’importance.
P.-S. J’ai consacré récemment dans
La Wallonie
, deux articles à Fédor Raskolnikov [331] ,
grand combattant de la révolution russe, ambassadeur de l’URSS à Sofia jusqu’en
1938, récemment mis hors la loi à Moscou et réfugié en France ; j’ai commenté
avec inquiétude les dépêches des journaux parisiens qui ont annoncé qu’il avait
eu, à Grasse, fin août, une brusque crise de folie, vers le moment où fut
publié le pacte Hitler-Staline. J’apprends à l’instant
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