Retour à l'Ouest
tous ces phénomènes
sociaux, un ensemble de causes qui ne sauraient être durables dans l’histoire :
le déclin du capitalisme, la crise, l’état de fatigue et de dépression de la
classe ouvrière, les conséquences immédiates de la guerre de 1914-1918. L’analyse
éclairait les causes de cette régression et permettait de prévoir d’autres
temps. Aujourd’hui, nous faisons mieux que les prévoir, nous les voyons naître.
En dépit de l’exaltation du nationalisme dans des pays deux fois infortunés d’avoir
deux fois, en un quart de siècle, manqué leur destin, par des guerres perdues
ou trop péniblement gagnées et par des révolutions avortées – Allemagne, Italie
–, nous assistons à l’avènement d’une forme nouvelle de la conscience des
masses.
Peut-être convient-il de rappeler à ce propos que le
sentiment national (ne pas confondre avec le nationalisme qui en est la
déformation et l’exploitation intéressée) naquit, lui aussi, des grandes
révolutions populaires ? Jusques en 1792, les soldats des monarchies d’Europe
se battirent pour le prince. Ils étaient souvent, d’ailleurs, des mercenaires
vendus par le prince. Il fallut la Révolution française pour que l’armée du duc
de Brunswick et des émigrés royalistes reculât à Valmy devant des volontaires
paysans et artisans [64] ,
aussi mal vêtus que les miliciens d’Espagne à ce jour, qui se battirent au cri
singulier de :
Vive la Nation
!
L’avènement de la nation signifiait la
fin des privilèges féodaux. Les intérêts des masses allèrent, désormais, l’emporter
sur le droit divin. Le tiers état est la classe la plus nombreuse, qui monte, entraînant
avec elle vers l’avenir les travailleurs, artisans et paysans.
Les nations demeurent de nos jours de vivantes réalités, mais
les États qui prétendent les représenter les desservent souvent plus qu’ils ne
les servent, parce qu’ils sont essentiellement les instruments de domination
politique de minorités numériquement faibles, mais économiquement
toutes-puissantes. À quelle impasse une oligarchie de financiers, d’agrariens
et de hobereaux n’a-t-elle pas conduit en son temps le peuple allemand ? À
quelle impasse une autre oligarchie de financiers et de gros industriels ne le
conduit-elle pas aujourd’hui ? De toutes parts, cependant, le système de
vieux États craque. Les autarcies s’installent dans la médiocrité ou la misère
et ne s’y maintiennent que par d’implacables moyens de police. Les hommes les
plus intéressés à la transformation du monde – les travailleurs – sentent, peut-être
encore confusément, mais irrésistiblement que la solution est ailleurs, dans l’union
et non dans la guerre, dans le socialisme et non dans le corporatisme, dans la
solidarité internationale et non dans les prisons du nationalisme. Et l’on voit,
au moment où ceux que la presse appelle sans ironie des nationaux lâchent
contre leur peuple des aviateurs nazis, des aviateurs fascistes envoyés par le
Duce
, des Riffains [65] et des légionnaires
sans patrie (il y aurait beaucoup à dire sur les dessous de ce nationalisme-là),
des ouvriers et des techniciens de tous les pays à peu près libres du monde
accourir à Barcelone, à Madrid, demander à se battre pour reprendre Saragosse… Il
y aura quelque part, dans une sierra d’Espagne, un combat de Valmy où la nation
sera sauvée par cette solidarité naissante appelée à réconcilier et sauver un
jour toutes les nations du monde.
Le Film et l’Histoire *
26-27 septembre 1936
Je doute que ce film soviétique soit un grand film ; mais
on ne peut nier qu’il ait de la grandeur. Vous avez peut-être vu combattre et
mourir sur l’écran les
Marins de
Cronstadt
, très ressemblants, ma foi, tels que je les ai connus en
ce temps-là. L’auteur du scénario a une trop visible prédilection pour les
cadres de bataille, ce qui surcharge un peu l’impression d’ensemble. Mais pour
qui connaît l’histoire de la révolution russe ce film est à la fois poignant et
profondément édifiant. Et c’est sur la leçon qu’il nous apporte que je veux aujourd’hui
m’arrêter un moment.
Il n’eut pas été difficile d’y serrer de plus près la grande
vérité, de mettre en scène les personnages de premier plan et même de les
nommer. On pouvait faire un documentaire qui eût été une reconstitution assez
exacte d’un épisode capital de la guerre civile et qui fut resté à ce
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