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Retour à l'Ouest

Retour à l'Ouest

Titel: Retour à l'Ouest Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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humaine
    12-13 septembre 1936
    La bête humaine est puissante, et comment pourrait-il en
être autrement, puisque l’homme se dégage de la bête, par un effort incessant, depuis
des millions de siècles ? Cette considération demeure pleine d’optimisme. Songeons
un moment à l’ancêtre avant de mesurer les déchéances présentes. Songeons à l’homme
velu, lourd de torse, à terrible mâchoire, au front bas, dont le génie naissant
s’exerçait à manier pour le meurtre le silex grossièrement taillé. Ses instincts
ne peuvent pas ne pas vivre en nous, car son passé se perd dans l’éternité
tandis que le nôtre ne se compte sans doute que par milliers d’années… Le
chemin accompli est néanmoins certain. La grâce des jeunes femmes, le charme de
l’enfant, l’harmonie du corps des athlètes, la beauté particulière d’un vieux
visage fatigué par la souffrance et la pensée, tout cela nous atteste la
grandeur vraie de l’homme, conquise peu à peu, par l’effort tenace de tous, à
travers les férocités de l’histoire. Il est donc prouvé que nous pouvons beaucoup
nous-mêmes, que nous ne cessons pas de naître à l’homme meilleur, que la bête
humaine, malgré tout, sera vaincue…
    Elle le serait peut-être dès aujourd’hui (et elle l’est donc
virtuellement) si les luttes sociales ne lui donnaient trop souvent du champ. En
ce sens, elle n’a pas de plus grands serviteurs ici bas que les bellicistes et
les défenseurs d’un régime de la production qui perpétue la cause des guerres
et l’exploitation du travail. Il faut bien croire qu’en dépit de l’instruction
plus grande et de la culture plus raffinée des classes riches, la menace
suspendue sur leurs intérêts provoque chez elles un réveil profond des
instincts primitifs, ou l’on ne s’expliquerait pas des faits sociaux tels que
les massacres de prisonniers par les troupes fascistes d’Espagne et la saisissante
attitude de certaine presse d’un peu partout devant la guerre civile de ce pays.
Ce n’est qu’invention d’atrocités rouges, titres et sous-titres dignes de ces
romans criminels que les Anglais appellent spirituellement
Penny-dreadfuls
[57] – deux sous d’horreurs !
Et devant l’exécution sommaire des miliciens du peuple, les sobres
constatations de fait d’un Bertrand de Jouvenel [58] . « On les
colle au mur ! » Voilà tout, ce n’est pas une atrocité, c’est presque
un noble fait de guerre, une virile répression, n’est-ce pas ? Sournois
retour de la bête humaine à la faveur de l’esprit de classe…
    Toute guerre est atroce, certes, et la bête qui fait
souffrir et tue vit en tout homme. Il est infiniment probable, il est même
certain que des excès sont commis des deux côtés. Ne le disons pas pour en
prendre notre parti. Tout socialiste sait qu’il n’a pas de devoir plus impérieux
que de veiller à la propreté, à la justice, à l’humanité dans la lutte sociale
la plus âpre ; et que la supériorité morale de la classe ouvrière y est encore
un puissant facteur de victoire. Les Rouges ne furent ni cléments ni modérés
dans la guerre civile, en Sibérie, par exemple : mais ils furent
incontestablement les meilleurs et c’est ce qui leur rallia finalement les
masses paysannes qui avaient fait l’expérience des deux régimes, celui des
généraux blancs et celui des Soviets.
    Au demeurant, des excès commis par des hommes ignorants qui
n’ont de leur vie connu que la misère, l’insécurité, la peine, peuvent-ils se
comparer aux exécutions en masse froidement ordonnées par des chefs militaires
appartenant à la classe éclairée, souples au baisemain, irréprochablement rasés
tous les matins, susceptibles sur les chapitres de l’honneur ? La bête
humaine de ce siècle ne me paraît jamais plus inquiétante et plus répugnante
que lorsque, sanglée dans un bel uniforme, portant les ordres de Saint-Jacques
de Compostelle, d’Isabelle la Catholique et de tous les saints imaginables, elle
se campe devant le micro et commence : « Nous autres gentilshommes d’Espagne
(
caballeros
…) » pour
finir par : « Nous écraserons sur toute la surface de la terre la
vermine marxiste… » Quelle comparaison possible entre ce gentilhomme-là et
le mineur exaspéré qui, dans un village pris d’assaut, lâche un coup de fusil
de trop ?
    L’argument statistique intervient ici à l’appui du simple
bon sens. La Commune de Paris, répondant aux exécutions

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