Retour à l'Ouest
des
Izvestia
jusqu’à ces jours derniers, de Christian Racovski , chef du gouvernement de l’Ukraine
pendant la guerre civile, Dougianov, ancien secrétaire du Comité central… Et de
bien d’autres moins connus. Tous compromis, presque tous arrêtés, perdus dès
maintenant… Il ne restera personne de la génération de Lénine. Dès lors, il
faut bien le constater. Peu importent les détails et les procédés. C’est le
procès d’une génération entière. Le procès de ceux qui ont fait la révolution
et qui tous, quelles qu’aient été leurs attitudes et leurs tendances, condamnent
et réprouvent le régime actuel comme étant profondément en contradiction avec
les aspirations de ses fondateurs. Fait plus grave encore, ils ne le tiennent
pas pour viable et voient tous, avec une saisissante unanimité, en le dictateur,
un funeste personnage.
Pour une cause sacrée
6-7 février 1937
Voici plus de vingt ans que nous vivons tous sur des
décombres. La grande guerre n’a pas accumulé que les ruines matérielles et les
cadavres, par millions. Elle nous laisse nous débattre parmi les ruines de
valeurs morales, chèrement, péniblement acquises par des siècles de civilisation.
C’est une dangereuse erreur des philosophies bourgeoises que la séparation trop
rigoureuse des valeurs matérielles et morales. En détruisant Madrid, les
généraux nationalistes détruisent, dans le cœur et la conscience des hommes d’aujourd’hui,
quelque chose d’impondérable, mais de plus précieux encore que les habitations,
les hôpitaux, les musées, les églises [96] …
La Grande Guerre a détruit le respect de la vie humaine. Si l’on peut, pour un
dessein stratégique insensé, sacrifier trois cent mille hommes en une semaine ;
s’il est dans l’ordre des choses parfaitement naturelles que la cervelle d’un Péguy soit trouée par une balle perdue ; si l’on peut
fusiller les caporaux de Vingré [97] ,
pour l’exemple, bien qu’innocents ; si l’on peut tuer des enfants dans les
villes, au hasard des bombardements aériens, que vaut désormais la vie humaine ?
Suite directe de la guerre, la révolution russe prit son
essor magnifique pour tirer un grand pays du chaos où la guerre, précisément, le
plongeait. Ses combattants, les fondateurs de l’ordre nouveau, pénétrés des
idées socialistes qui représentent la synthèse des aspirations les plus élevées
des masses de notre temps, consentirent à tous les sacrifices, à toutes les
duretés aussi, pour faire du neuf et conférer un sens réel, tangible, aux
vieilles valeurs humaines foulées aux pieds. Faut-il rappeler que tous les
partis socialistes inscrivaient notamment dans leurs programmes l’abolition de
la peine de mort ? Et que la révolution russe commença par là ? Comme
aujourd’hui les généraux, soutenus par des puissances réactionnaires, l’imposent
à l’Espagne, des généraux, soutenus par l’étranger, imposèrent à la Russie
socialiste une longue guerre civile, dont la terreur fut à l’intérieur la
conséquence directe. Il fallut, littéralement, vaincre ou mourir et pour
vaincre subir les plus cruelles nécessités, jusques et y compris celle d’être
soi-même impitoyable. Mais dès que la victoire parut assurée, le chef de la Tchéka,
Dzerjinski, proposa l’abolition de la peine de mort et l’obtint sans peine du
Conseil des commissaires du peuple présidé par Lénine.
La guerre de 1920, commencée par la Pologne, fit revenir le
gouvernement des Soviets sur cette mesure salutaire [98] . Et puis, peu à
peu, tout commença de changer. Les meilleurs étaient tombés dans la lutte, l’Europe
demeurait à quelques égards un étrange chaos où l’inhumanité triomphait souvent.
Des régimes se fondaient en Finlande, en Hongrie, en Bulgarie sur la terreur
blanche, c’est-à-dire l’égorgement systématique de l’élite des travailleurs. La
République allemande établissait de chancelantes assises sur le sang de Rosa
Luxemburg, de Karl Liebknecht, de Gustav Landauer , d’ Eugène Leviné et de beaucoup d’autres. On y tuait Walter Rathenau , grand libéral trop intelligent. Des
Saintes-Vehmes y agissaient dans l’impunité [99] .
Le fascisme, en Italie, détruisait des coopératives, des syndicats, des maisons
ouvrières, inventait le supplice odieux de l’huile de ricin, assassinait Matteoti , rétablissait solennellement la peine de mort, abolie
autrefois. La grande démocratie américaine,
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