Retour à l'Ouest
crise cardiaque la responsabilité de la mise à mort de ses
frères.
Sa mort laisse un vide impossible à combler. Il ne reste
plus dans les cercles dirigeants de l’URSS, c’est-à-dire autour de Staline, que
très peu d’hommes du vieux parti, du parti de Lénine, – très peu d’hommes, en d’autres
termes, dont toute la vie atteste, en dépit d’erreurs parfois grandes et graves,
un dévouement absolu au socialisme. On les compterait sur les doigts… L’avenir
seul nous dira ce que valent les inconnus appelés à prendre leur succession en
des circonstances aussi inquiétantes.
Il y a vingt ans… *
6-7 mars 1937
Les journées du 7 au 11 mars, correspondant, dans l’ancien
calendrier russe, à celles du 23-27 février, devraient inspirer à bien des gens
de profitables méditations. Il y a vingt ans, à cette date, l’Empire le plus
autoritaire de l’Europe, s’effondrait subitement, comme un édifice vermoulu. Le
5 mars, S. M. l’Empereur Nicolas II recevait paisiblement à sa coutume les
grands dignitaires. La dynastie avait trois siècles derrière elle, et celui qui
eut prédit qu’elle ne serait plus rien à la fin de la semaine suivante eut
passé pour fou. La classe ouvrière murmurait évidemment, dans les bas-fonds, – cette
basse canaille, excitée par les marxistes, n’est-ce pas ? Mais on connaissait,
pour la mater, des recettes éprouvées. Le général Khabalov, gouverneur de Petrograd,
prévoyant des troubles à la fin de l’hiver (quelle perspicacité !), venait
d’arrêter un plan détaillé de répression. Les généraux et les ambassadeurs
étrangers envisageaient entre eux « d’immenses changements » qui
eussent substitué dans les ministères, une camarilla à une autre. Nicolas II
était confiant, la Tsarine Alexandra Feodorovna, plus confiante encore. N’avaient-ils
point l’appui de la Providence et de bonnes prisons, une police comparable à
nulle autre, des potences en nombre suffisant ? Solide, tout ça. Un signe
aux dispensateurs de fonds secrets et la presse des deux mondes parlait en
termes touchants du tsar civilisateur, adoré de son peuple, de l’invincible
puissance russe, de l’âme slave qui et que… « Les révolutionnaires, monsieur ?
Chacun sait que ce sont des agents de Ludendorff : et des demi-fous. Voilà
du reste cinquante ans que leurs prédictions ne se réalisent point. »
Ainsi s’exprimait M. Homais au
Café
de la Paix
et il ajoutait peut-être crânement : « Moi, monsieur,
j’ai placé mes économies dans les emprunts russes et je vous conseille d’en
faire autant ! »
Un an tout juste avant l’effondrement, la Tsarine écrivait à
son auguste époux : « Tu ne dois pas te laisser fléchir ; pas de
ministère responsable, etc. ; rien de ce qu’ils veulent. Cette guerre doit
être ta guerre et la paix ta paix, à ton honneur et à celui de la patrie, mais
en aucun cas à l’honneur de la Douma. Ces gens-là n’ont pas le droit de dire un
mot. »
La Douma était une ombre de parlement, « ces gens-là »
étaient des bourgeois libéraux qui préconisaient timidement le régime
parlementaire.
Les événements commencent dans les quartiers ouvriers de la
capitale le 23 février ancien style (7 mars nouveau style) par une grève
spontanée, dont les ouvrières, lasses de faire la queue pour du pain, ont pris
l’initiative. Aucun parti révolutionnaire n’a rien préparé ni voulu. Le
mouvement fait tâche d’huile, débordant à la fois les militants et les
autorités. (Les plus qualifiés des militants sont à l’étranger en prison ou
déportés.) La Tsarine ne perd pas la tête, vous pensez bien ! Des troubles,
en a-t-on assez vu en un quart de siècle ! Elle écrit le 24 février (8
mars) à Nicolas II : « J’espère que ce Kerenski de la Douma sera
pendu en raison de ses abominables discours. La loi martiale est indispensable,
ce sera un exemple. Tout le monde est infiniment désireux de te voir faire
preuve de fermeté… »
Le Tsar quitte le GQG pour se rapprocher de la capitale, mais
son train spécial erre sur des voies désertes sans arriver nulle part. Les
cheminots lui font de bizarres signaux : voie barrée, danger ! Le
général Ivanov, nommé dictateur pour rétablir l’ordre, selon les bonnes
vieilles méthodes, arrivé avec quelques troupes à une quarantaine de kilomètres
de Petrograd, demande au gouverneur de la ville des renseignements précis sur
la situation. Le
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