Retour à l'Ouest
gouverneur Khabalov lui répond :
« Toute la ville… toutes les gares… toute l’artillerie
sont au pouvoir des révolutionnaires. Les ministres ont été mis en état d’arrestation.
Je ne dispose d’aucune force de police… »
En somme, une situation nette.
En cinq jours de manifestations spontanées dans les rues, l’absolutisme
est tombé. C’est le passage de la garnison au peuple qui a tranché la question.
Or, les soldats ont décidé sans propagande préalable, tout aussi spontanément
que les ouvrières qui avaient commencé la grève. Le régime était condamné dans
les esprits. Ainsi, meurt d’une embolie au cœur un homme jouissant en apparence
d’une santé florissante. Le Tsar abdique, en faveur de son fils d’abord, de son
frère ensuite, qui abdique à son tour en faveur de la Constituante. Des mots, des
gestes, sans importance désormais. Les généraux s’empressent de reconnaître, par
crainte d’un plus grand mal, le gouvernement provisoire du prince Lvov, constitué
par des députés libéraux de la Douma avec l’assentiment du Soviet, c’est-à-dire
du Conseil des délégués des usines et des régiments, seul pouvoir réel en ces
journées. Le grand-duc Cyrille Vladimirovitch se met un brassard rouge et
conduit lui-même les équipages de la garde au Palais de Tauride où s’improvisent
ces nouveaux pouvoirs. Les télégrammes de la Tsarine lui reviennent pendant ce
temps avec cette courte mention administrative : « Résidence du
destinataire inconnu. » L’historien constate que « les employés du
télégraphe ne retrouvaient plus le tsar des Russies… »
Les régimes totalitaires d’aujourd’hui paraissent solides. Ils
ont de belles façades décoratives, des uniformes resplendissants, des
ressources infinies, des adulateurs sans nombre. L’autocratie russe avait tout
cela, et depuis des siècles, dans les premiers jours de mars 1917. Une semaine
plus tard elle appartenait à un passé irrémédiablement révolu. Parce qu’elle
avait, au fond, les masses contre elle. Beau sujet de méditation, en vérité.
Inhumanité totalitaire *
13-14 mars 1937
On connaît vaguement ce fait divers colonial auquel la
grande presse d’information n’a pas consacré beaucoup de place. Le général
Graziani, vice-roi d’Éthiopie, assistant à Addis-Abeba à une cérémonie
patriotique, blessé par une bombe ; un autre général, moins illustre, plus
gravement « amoché… » La presse des pays civilisés, si sobre sur les
massacres de Malaga, a mentionné ensuite un certain nombre d’exécutions
sommaires. C’est qu’elle est bien usée, la conscience du monde, aujourd’hui. Les
États totalitaires lui ont infligé de tels traitements qu’elle soupire, se
voile la face et encaisse, encaisse tout… Rendons justice au parlement
britannique pour avoir posé la question. Les autres pays civilisés se sont tus.
Interrogé à la Chambre des Communes sur les excès commis par les Italiens à la
suite de cet attentat, lord Cranborne a répondu en termes fort diplomatiques qu’en
effet, des troubles sérieux s’étaient produits dans la capitale de l’Éthiopie, au
cours desquels un grand nombre de victimes avaient péri… L’usage est de s’exprimer
aux Communes avec une extrême modération. Le gouvernement britannique a ainsi
confirmé le fait, connu par ailleurs, du massacre par les conquérants, d’une
partie de la population soumise…
À peu de jours de là, le Ras Desta , un
des chefs de la résistance nationale, fut capturé par les Italiens et aussitôt
fusillé. Ces méthodes inhumaines sont assez nouvelles et caractérisent le
fascisme dans l’histoire, assez hideuse pourtant, des atrocités coloniales. Abd-el-Kader,
capturé par les Français pendant la conquête de l’Algérie, ne fut qu’exilé en
Syrie avec les égards que méritait son courage. Abd-el-Krim, qui défendit si
longtemps le Riff contre la soldatesque espagnole, s’étant rendu à la France, est
aujourd’hui exilé à La Réunion. Les plus durs colonisateurs paraissaient jusqu’ici
avoir compris qu’il est plus politique, plus sage de respecter les vaincus que
de les exterminer. Le fascisme se comporte autrement parce qu’il est, en toutes
matières, une régression vers le moyen-âge. Tout se tient, de l’éthique à la
stratégie. La doctrine même du fascisme est à cet égard tout à fait claire :
« Le Blanc commande, le Noir Obéit. Le Blanc dirige et
le Noir
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