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Retour à l'Ouest

Retour à l'Ouest

Titel: Retour à l'Ouest Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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Monsieur
Thiers, l’homme du siècle qui incarne peut-être le mieux la politique du
coffre-fort, fait la paix avec l’Allemagne. L’Assemblée nationale, réfugiée à
Bordeaux, abandonne l’Alsace et la Lorraine.
    La résistance de Paris, assiégé, n’a été qu’un simulacre, payé
cher du sang de milliers de gardes nationaux. Par incapacité ou par
arrière-pensée, rien de sérieux n’a été tenté pour rompre les lignes d’investissement.
La victoire de Paris eût été celle des gardes nationales ; un simple
succès eût prolongé la guerre. La bourgeoisie en avait assez et redoutait
davantage la colère du peuple que les conditions de Bismarck. Les Prussiens
entrèrent donc à Paris, mais ils eurent le tact de n’y point rester. La garde
nationale gardait ses armes, son artillerie notamment, deux cents pièces
environ, parquées sur les hauteurs de Montmartre.
    Le peuple de Paris, prolétariat et classes moyennes, voisines,
par leur condition matérielle, des classes laborieuses, est blessé dans son
sentiment national. La fierté, la dignité, la virilité du pays vivent en lui, tandis
que l’assemblée de Bordeaux délibère dans la frousse. Une fois de plus dans l’histoire,
les possédants trahissent la nation, plus soucieux de leurs propres intérêts
que de ceux de la communauté nationale. Le patriotisme s’est réfugié chez les
pauvres gens ; il va devenir une force révolutionnaire, se confondre avec
l’idée fédéraliste des communes, aboutir à l’internationalisme du drapeau rouge.
Paris travailleur n’a pas eu d’illusions sur l’Empire ; il n’en a pas sur
la république de M. Thiers ; il a souffert toute la guerre, tout le
siège, et jusqu’à l’occupation. Il a faim ; une loi sur les échéances, qui
est une véritable provocation contre la petite bourgeoisie commerçante, l’oblige
à payer sur-le-champ toutes les dettes prorogées depuis le début des hostilités.
Confusément, ses éléments socialistes sentent que le salut pourrait être dans
une réorganisation de la France sur la base de l’autonomie municipale, avec un
pouvoir communal audacieux et populaire qui accomplirait révolutionnairement de
grandes réformes.
    M. Thiers voit très bien le danger. Il déclarera plus
tard à la commission d’enquête sur l’insurrection du 18 mars que la soumission
de Paris était, depuis son arrivée au pouvoir, l’une de ses préoccupations
principales. Pour le chef du gouvernement, Paris était déjà un ennemi
à soumettre
… M. Thiers a prononcé
le mot mais il n’a sans doute pas tout dit ; tout porte à croire qu’il
entrait bien dans ses desseins d’infliger aux ouvriers parisiens une saignée
plus ou moins conséquente. On sait qu’en février 1848, il avait conseillé au
roi Louis-Philippe de se retirer de la capitale avec les troupes fidèles pour y
revenir par la force des armes. C’est ce qu’il allait faire faire maintenant
après avoir délibérément provoqué le soulèvement du 18 mars.
    Le 18 mars à l’aube, la troupe, dirigée par le général
Vilnoy, occupe brusquement le parc d’artillerie de la garde nationale. Elle
vient désarmer Paris et c’est contre Paris paisible, où l’on n’observe même à
ce moment aucune effervescence révolutionnaire, une étrange agression. Seulement
l’imbécillité des généraux formés à l’école de Napoléon III se manifeste en
toutes circonstances. Ils n’ont pas songé aux chevaux indispensables pour
emmener les canons. La troupe piétine sur place. Montmartre se réveille, une
foule indignée se rassemble autour des lignards, proteste, fraternise avec la
troupe. L’opération manquée va se retourner piteusement contre le Gouvernement.
Le général Lecomte [111] fait d’abord tirer en l’air pour éloigner les femmes ; puis il commande de
tirer « dans le tas… » Il est trop tard pour sauver la provocation au
moyen d’un massacre, trop tard pour imposer, à la place de l’ordre populaire, le
désordre d’une tuerie sur le pavé. Le général Lecomte est lui-même arrêté, empoigné
par ceux qu’il ordonnait de massacrer. Il sera, au bout d’un instant, fusillé
par ses propres soldats ; les gardes nationaux fusilleront à côté de lui, dans
une courette de la rue des Rosiers (aujourd’hui rue du Chevalier de la Barre), un
autre général, Clément Thomas, connu pour avoir versé, en 1848, le sang des
ouvriers et pour avoir insulté pendant le siège les combattants

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