Retour à l'Ouest
pressurer. Mais
où mène-t-il ? Servi par un outillage formidable, nous le voyons peser sur
l’âme de nations entières. Et tout à coup, voici que dans des tranchées d’Espagne
où s’affrontent d’un côté des antifascistes italiens, exilés et bannis, venus
se battre pour la classe ouvrière du monde et de l’autre des pauvres bougres
portant l’uniforme du
Duce
, bernés
jusque sur les champs de bataille (enrôlés pour l’Abyssinie et débarqués à
Cadix !) voici qu’il suffit de quelques voix ardentes et véridiques pour
que des soldats du fascisme se rendent…
L’impudence n’est une force qu’appuyée souverainement sur le
bâillon, la trique, la prison, l’argent. Sitôt qu’on lui résiste, elle succombe.
Les régimes fondés sur le mensonge portent en eux-mêmes les germes de leur mort.
Iagoda *
10-11 avril 1937
De plus en plus, le drame russe revêt nettement l’aspect d’un
changement de régime qui s’accompagne de la liquidation totale de la génération
révolutionnaire de 1917-1928. Et il ne s’agit pas seulement d’une liquidation
politique. Les « vieux » ne sont pas mis à la retraite ou amenés à se
retirer ; ils disparaissent, emprisonnés ou exécutés. Les dernières
nouvelles de Moscou sont à cet égard bouleversantes.
Les journaux de la capitale soviétique paraissent le 4 avril
avec en première page un communiqué du gouvernement, imprimé en caractères gras…
On peut dire à coup sûr que rien de plus surprenant et de plus troublant ne
pouvait être ainsi annoncé à la population, en dépit des rumeurs qui faisaient
pressentir la chose.
Ce communiqué annonçait la mise en accusation, sous des
chefs d’inculpation entraînant la peine capitale, d’Henri Grigorievitch Iagoda,
c’est-à-dire de l’un des plus proches et des plus intimes collaborateurs de
Staline depuis dix ans. Et quel collaborateur ! Haut-Commissaire à la
Sûreté Générale, commandant en chef des troupes spéciales de la Sûreté – qui
forment plusieurs corps d’armées, – Commissaire du Peuple à l’intérieur, membre
du Comité Central du P. C. de l’URSS, membre du Comité Exécutif Central, qui
est, en théorie, l’organe suprême du pouvoir. Tous ces titres du reste ne font
que laisser entrevoir la puissance réelle de l’homme qui vient de tout perdre y
compris l’honneur et semble n’avoir plus rien à attendre de la vie si ce n’est
la plus morne fin. Bolchevik de 1917, rédacteur à la
Pravda des tranchées
, avant la prise du
pouvoir, combattant de la révolution d’Octobre, Iagoda était entré à la Tcheka,
par ordre du parti, en 1920, pour y demeurer, parmi les exécutants et les chefs
de la terreur rouge, au temps où la terreur contre la bourgeoisie et l’intervention
étrangère fut le suprême moyen de défense d’une révolution ouvrière qui, si
elle ne s’était pas implacablement défendue, eût été à coup sûr vaincue. La terreur
rouge, si atroce qu’elle fut, épargna au grand pays une terreur blanche qui eût
été infiniment pire, car elle eût décimé les masses les plus nombreuses de la
population. À partir de 1924, la Tcheka ayant reçu la nouvelle appellation de
Guépéou, Iagoda la dirige en fait, son chef nominal Menjinsky étant cloué au lit par la maladie. En 1928, au début de la montée de Staline, il
manifeste des velléités d’opposition (qui ne manqueront pas de lui être
durement rappelées), vite abandonnées d’ailleurs.
Pendant la terrible période de la collectivisation forcée de
l’agriculture, du premier plan quinquennal, des grands procès de sabotage
dirigés contre les techniciens, de la répression de toutes les oppositions, Iagoda
exerce les fonctions d’un ministre de la police muni de pouvoirs
discrétionnaires. Il a signé des milliers d’arrêts de mort. Il a organisé des
camps de concentration peuplés de centaines de milliers de captifs. Il a fourni
– moyennant des prix que l’on estime aujourd’hui trop élevés – à toutes les
entreprises d’État une main-d’œuvre pénale abondante, qualifiée et non
qualifiée. C’est sous sa direction personnelle que fut creusé par des condamnés
le canal Mer Blanche-Mer Baltique : et l’on sait que plus de 50 000
condamnés bénéficièrent de commutations de peine à l’achèvement de cette vaste
entreprise. C’est sous sa direction et avec sa main-d’œuvre que fut construite
sous le cercle polaire la ville de Kirovsk, d’abord
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