Retour à l'Ouest
légitimes des masses laborieuses… »
On se frotte les yeux et l’on se souvient des coopératives
détruites par les bandes en chemises noires : des locaux de syndicats mis
à sac ; de la disparition des organisations syndicales socialistes, syndicalistes
et catholiques ; de l’assassinat des militants ; de la déportation
des survivants. Ce fut la chronique quotidienne de l’an 1922 en Italie… Mais
voici en bref le portrait du chef :
« Révolutionnaire banni, instituteur, maçon, exilé en
Suisse, paysan et forgeron dans son pays, Mussolini avait connu toutes les
épreuves. Cet ouvrier révolutionnaire pouvait-il se tourner contre les ouvriers ?
Pouvait-il défendre les intérêts des capitalistes, cet homme qui avait peiné
sur les échafaudages, porté le mortier… » Etc. etc., p. 11.
Et l’on se souvient des brillants uniformes du
Duce
; de ses poses devant l’objectif
et l’histoire ; du capitalisme restauré, de la monarchie replâtrée tandis
que les salaires tombaient, tombaient, plus bas qu’ils ne furent jamais en
Occident, – et tandis que disparaissait pour les travailleurs l’ombre même de
la liberté d’opinion. Et l’on se souvient tout à coup de Matteotti, enlevé en
pleine ville, en plein jour, poignardé, mutilé…
Tout est à l’avenant. Le Fascisme a institué des
magistratures du travail, reconstitué au sein des corporations les syndicats
ouvriers, ajouté au salaire « apparent » (
sic
) un sursalaire « effectif » qui le « dépasse
sensiblement » (
sic
). Suit
l’énumération des institutions de prévoyance sociale et d’organisation des
loisirs : des
Balillos
[113] qui dressent l’enfant
à la marche au pas sitôt qu’il commence à se tenir sur ses petites jambes au
Dopolavoro
qui organise les
distractions de l’ouvrier et de sa famille – de sorte que jamais, en théorie du
moins, l’homme n’échappe à la surveillance, à la tutelle, au bourrage de crâne
de l’État… Et cela lui est compté, sous diverses rubriques, comme salaire
effectif. Sans doute, la société moderne ne peut-elle plus se passer des
assurances sociales et le Fascisme suit-il comme les autres régimes le
développement de cette technique de l’organisation sociale. Mais au lieu d’une
liste d’institutions bureaucratiques, on aimerait connaître quelle est la part
des travailleurs dans la répartition du revenu national ? Quel est le
salaire réel total de l’ouvrier italien (capacité de consommation) comparé à
celui de l’ouvrier des pays démocratiques ? Quelles sont les proportions
entre les salaires en Italie avant et après la victoire du Fascisme ? À
toutes ces questions, les voyageurs de retour d’Italie répondent, à défaut de
statistiques, en vous contant la grande pitié des cités ouvrières…
Le plus beau chapitre est assurément celui de la guerre d’Éthiopie.
Ce fut « une guerre prolétarienne », – vous avez bien lu. Provoquée
du reste par l’Abyssinie qui « n’a jamais tenu compte de l’attitude
pacifique de l’Italie » et s’est livré contre celle-ci à 90 agressions. Le
chiffre y est. « Le prolétariat italien sentit vraiment que cette
entreprise était la sienne et une marée d’enthousiasme envahit et submergea la
péninsule. Mais cinquante-deux États armés et ennemis se dressèrent contre cet
élan. » (p. 51)
Et l’on se souvient des causes réelles de la guerre d’Éthiopie :
de la sévère crise économique qui ébranla le régime fasciste en 1934, du
problème des jeunes, de l’intrigue diplomatique… « Il n’y a pas de problème
des jeunes, – écrivait en septembre 1935, un journal romain, – les jeunes n’ont
qu’à s’engager pour l’Afrique… »
Tant mentir est sans doute nécessaire. Il faut éberluer ceux
que l’on berne. Il faut que le mensonge submerge la raison, fausse le jugement,
s’impose par sa puissance mécanique, écrase l’objection. Peu importe dès lors
qu’il ne soit plus croyable et ne résiste à aucune analyse. N’a-t-on pas, d’ailleurs,
pour les esprits critiques des îles brûlées d’où l’évasion n’est guère possible ?
(Comme tout cela nous rappelle tristement d’autres mensonges politiques, dans
un autre pays totalitaire auquel s’attachent malgré tout nos espoirs !) Plekhanov
montra autrefois que le mensonge paraît quand la société se divise en classes, car
il est en définitive un moyen d’exploitation : tromper pour
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