Retour à l'Ouest
entre le socialisme scientifique – marxiste
– et les écoles idéaliste et psychologique en histoire porte sur le rôle des
idées dans le monde. « Les idées mènent le monde ! » (Mettez, si
vous le préférez, à la place des idées, la foi, l’esprit.) À cette affirmation
facile, le socialiste répond doucement qu’il faut être d’abord, pour penser :
que l’homme ne saurait être qu’en société ; et que, dès lors, c’est sa
condition d’être social qui forme son esprit et non l’inverse.
L’expérience de la société moderne nous confirme chaque jour
dans cette vue marxiste tout à fait élémentaire. Ne voyons-nous pas les États
totalitaires fabriquer délibérément et imposer avec succès – à la jeunesse tout
au moins et à une grande partie des masses – les idéologies conformes à leurs
besoins ? Le III e Reich impose ainsi le racisme et l’antisémitisme.
L’Italie, son culte de l’État et de l’Empire. L’exemple italien est d’autant
plus frappant que le fascisme professait avant la prise du pouvoir des idées
fort différentes de celles qu’il impose aujourd’hui. Il commença, ce que l’on
oublie trop, par se déclarer un « rassemblement des révolutionnaires ».
Le mécanisme de la société moderne s’est à la fois simplifié et compliqué, comme
toute machinerie. Compliqué dans son fonctionnement, simplifié dans son commandement.
L’organisation de l’État suit ici la même évolution que celle de la technique. Il
suffit de quelques ingénieurs pour surveiller et diriger le fonctionnement
prodigieux d’une turbine électrique qui alimente en énergie toute une contrée. La
machine est d’une complexité infinie : très simples sont les leviers de
commande.
De même pour cette opération si délicate à première vue qu’est
l’éducation des masses. Il suffit d’un ordre du service de presse d’Hitler ou
de Mussolini pour créer ou détruire une réputation d’écrivain, répandre en une
matinée quelque idée empoisonnée ou étouffer un mouvement spirituel naissant.
En URSS, où la propriété collective des moyens de production
réalise un système beaucoup plus achevé, d’un fonctionnement plus net puisque l’État
tient tous les leviers de commande de la production, règle à son gré la
répartition du revenu national et contrôle minutieusement le marché, les
ressorts de la vie intérieure des masses, s’ils ne sont pas tout à fait mis à
nu, deviennent gouvernables et visibles plus que nulle part ailleurs. Et l’on
voit l’éducation obéir à l’idéologie de l’État qui, à son tour, varie avec la
politique, fonction elle-même de l’économique. Les récents événements, tels que
l’élimination de la génération révolutionnaire, les procès de Moscou et l’abandon
de la doctrine bolchevique des premiers temps s’expriment aujourd’hui dans l’ordre
intellectuel par des faits vastes et nombreux, toujours voulus par le pouvoir
et pour des raisons que l’on discerne fort bien.
À partir de 1935, sur un mot d’ordre du Comité central, le
mot de patrie, disparu du vocabulaire révolutionnaire, reparaît de plus en plus
fréquemment, et cela correspond aux succès (et aux besoins) de l’industrialisation
dans le domaine des armements et au retour à la politique des alliances d’autrefois.
Une pièce de théâtre, dans laquelle le poète officiel Demian
Bedny se moquait des paladins de la légende russe, était récemment retirée
du répertoire, comme offensant le sentiment national [117] . Elle eût été
naguère admirée comme une satire dirigée contre le vieux patriotisme national
des classes possédantes et inspirée de l’esprit rénovateur, internationaliste, des
travailleurs… Jusqu’à ces temps derniers, une revue d’histoire intitulée
La Lutte des classes
paraissait à
Moscou. Elle vient de changer de titre et d’idées et s’appellera désormais, plus
modestement,
La Revue historique
.
On comprend qu’il vaut mieux ne point parler de lutte des classes dans une
société où grandit l’inégalité matérielle. L’historien Pokrovski ,
auteur d’une
Histoire de Russie
tout à fait remarquable, en dépit d’un certain schématisme, le créateur de l’école
marxiste dans ce domaine, enseigné hier encore dans les universités, est soumis
à la plus acerbe critique et disparaît des programmes. Décédé il y a quelques
années, il échappe aux ennuis personnels… Mais son
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