Retour à Soledad
des églises pour les fondre et faire des canons, s'empare des récoltes de canne à sucre et de coton, lâche les nègres dans les rues, a osé qualifier de prostituées 2 les dames et demoiselles de New Orleans qui ne se montrent pas assez aimables avec les officiers de l'Union ! J'ose espérer qu'un Cavalier va le provoquer en duel, si ce n'est déjà fait, et qu'il percera sa bedaine de Yankee ! s'exclama Varina.
Un murmure d'indignation polie condamna la conduite du général nordiste, et lord Simon s'empressa, par égards pour ses invités bahamiens, de faire dévier la conversation en s'informant de la situation à Nassau.
Comme tous à Soledad, il savait que la capitale des Bahamas n'avait jamais connu pareille prospérité. Dollars et livres sterling circulaient à flot ; chaque semaine voyait s'ouvrir de nouvelles boutiques, tavernes ou restaurants. Ceux qui, hier, végétaient, vivaient maintenant largement. Les insulaires, pris d'une frénésie communicative, ne pensaient qu'à s'amuser et dépensaient sans compter un argent si facilement gagné. Les étrangers, parmi lesquels de nombreux réfugiés sudistes, mais aussi plus d'aventuriers que d'honnêtes négociants, avaient fait tripler la population d'une ville grisée par sa soudaine opulence.
Les chroniqueurs écrivaient qu'il fallait remonter au commencement du XVIII e siècle, à l'époque où New Providence, capitale de la piraterie, abritait avec Barbe-Noire plus de mille flibustiers des Caraïbes, et regorgeait d'or enlevé sur les galions espagnols, pour imaginer semblable fureur de vivre et de jouir.
Le membre de la General Assembly confirma l'existence d'une telle ambiance et ajouta des précisions économiques.
– La commanderie du port considère qu'au cours de l'année écoulée, depuis le commencement de la guerre civile américaine, soixante-douze voiliers et trente-deux vapeurs ont apporté à Nassau pour plus d'un million deux cent cinquante mille livres sterling de marchandises, et emporté en Angleterre un million de livres sterling de coton. Sachez qu'en 1860 nos importations ne représentaient que deux cent trente-quatre mille livres sterling, et nos exportations environ cent soixante mille 3 . Voyez l'énorme différence ! Les profits du commerce sont passés à Nassau de moins de cinq cent mille livres sterling en 1860 à plus de cinq millions cette année ! Les blockade runners font la fortune de nos îles tout en rendant de grands services à l'industrie textile britannique, assura-t-il.
– On dit que la flotte fédérale affectée au blocus de Charleston et de Wilmington ne parvient pas à intercepter plus d'un forceur de blocus sur dix, observa Lord Simon.
– C'est exact, bien que, depuis quelques semaines, les navires de l'Union patrouillent entre Grand Bahama Island et Bimini Island dans l'espoir d'intercepter les bateaux qui viennent de quitter Nassau et se dirigent vers Charleston ou Wilmington. Mais le vrai danger, pour les forceurs de blocus, ne commence qu'au moment où ils approchent des côtes américaines, révéla le parlementaire.
– Nous avons connu ça récemment et nous avons vu combien les excellents marins, le plus souvent britanniques, qui arment les forceurs de blocus, sont audacieux et habiles manœuvriers. De surcroît, ils disposent de pilotes confédérés qui connaissent bien les côtes. Un forceur de blocus peut passer à moins de cent vingt brasses 4 d'un vapeur américain sans être repéré. Et comme, entre eux, les navires fédéraux signalent tout bateau suspect par un tir de fusée, les forceurs de blocus sont prévenus et poussent les chaudières pour échapper à leurs poursuivants. Ces derniers ont d'ailleurs peu de chances de les rattraper, car les nouveaux vapeurs de fer, construits, il faut bien le dire, spécialement pour les blockade runners par les chantiers de la Clyde et de la Mersey, sont plus rapides que les frégates de surveillance. Par les nuits sans lune, on assiste à des poursuites très sportives ! dit Tilloy.
– Et cependant, le zèle des chasseurs fédéraux est stimulé par les primes qu'ils reçoivent en cas de capture d'une cargaison. Les profits des prises de marchandises, d'armes ou de munitions destinées au Sud sont partagés par moitié entre l'équipage du navire arraisonneur et le gouvernement américain. Sur la part affectée aux marins, sept pour cent va au capitaine, l'équipage se partage seize
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