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Retour à Soledad

Retour à Soledad

Titel: Retour à Soledad Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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la supporter jusqu'à la fin de la guerre. Ce qui n'est pas pour demain, si l'on en juge par la pugnacité de l'armée sudiste, les succès qu'elle a remportés en Virginie et la menace que les Confédérés font maintenant peser sur Cincinnati, grenier et arsenal des troupes fédérales, dit Charles qui venait de lire The Nassau Guardian .
     

    Dès l'arrivée de sa cousine, lord Simon avait signifié à la jeune femme qu'il avait pour habitude de prendre ses repas seul, hormis les jours de réception. Faisant un effort, il la conviait parfois à prendre le thé en sa compagnie, bien qu'elle ne pût deviner que ce rite britannique, dont le cérémonial lui paraissait désuet, représentait beaucoup plus que la simple absorption d'une tisane.
     
    – Chez nous, les dames d'œuvres servent du thé lors de leurs réunions, mais à Clarendon nous n'en buvons que pour aider une digestion laborieuse, avait-elle dit dès la première invitation.
     
    Cette réflexion avait fait grimacer Simon et amusé Pibia. Chaque jour, à quatre heures et demie, le majordome servait le thé du lord avec lait et cookies dans le petit salon privé attenant à son cabinet de travail. Mieux que quiconque, le mulâtre connaissait le juste dosage des feuilles odorantes et le moment de verser l'eau, « frémissante mais non bouillante », dans la théière d'argent, cadeau de George II à un ancêtre Cornfield.
     
    Fin août, lord Simon donna un dîner habillé en l'honneur d'un membre éminent de la General Assembly et de son épouse, couple de Noirs bahamiens de la meilleure éducation, de passage à Soledad. Ne pas inviter Varina eût été outrageant. Condamnée à prendre seule la plupart de ses repas dans l'appartement qui lui avait été octroyé, la Sudiste fut bien aise d'être enfin conviée, par carton armorié, à une réception digne de ce nom. Jolie plutôt que belle, cette insupportable petite femme, parfaitement proportionnée, apparut dans une robe à volants bleu de roi, au décolleté plongeant. Coiffée à la Sévigné, parée de ses plus beaux bijoux, elle eût été admirée si, dotée de discernement, elle se fût abstenue de parler et de commettre, en passant du salon à la salle à manger, au bras de lord Simon, une regrettable bévue.
     
    – Ce... nègre et sa femme vont-il dîner avec nous ? demanda-t-elle, à haute voix, à son cousin en désignant le couple de Noirs.
     
    Lady Lamia fit inutilement claquer son éventail, le docteur Weston Clarke tenta sans succès d'attirer l'attention des invités sur un tableau, rien ne fit diversion : le Bahamien avait entendu la question de Winnie. Homme d'esprit, il se tourna vers la Sudiste.
     
    – Si vous venez à Nassau, nous serons très honorés, mon épouse et moi, de vous recevoir à notre table. Nous avons une excellente cuisinière, madame. Et nous pourrons vous montrer quelques éditions rares des œuvres de Shakespeare, dit-il avec un sourire, découvrant une denture d'une enviable blancheur.
     
    Les commensaux habituels du lord s'attablèrent dans une ambiance pesante, que chacun s'efforça de diluer en posant aux invités du lord des questions banales sur leur traversée et le confort du bateau-poste, qui les avait transportés de Nassau à Soledad.
     
    Pendant le premier service, composé d'émincé de homard agrémenté d'une sauce au citron, Varina observa les Noirs à la dérobée comme si elle s'attendait à les voir manger avec leurs doigts. Ayant constaté que le mari et la femme maniaient argenterie et cristaux avec l'aisance naturelle que confère une longue pratique des dîners mondains, la Sudiste voulut bien oublier momentanément leur couleur.
     
    Alors que les convives évitaient, par respect pour la femme du planteur, toute allusion à une guerre civile qui mettait les siens en danger, ce fut elle qui prit l'initiative d'évoquer le conflit et ses conséquences. Ni le froncement de sourcils de lord Simon ni la tentative de diversion d'Ounca Lou, invitant le notable bahamien à parler de l'éclairage public dont on venait de doter Nassau, ne dissuadèrent Varina de se lancer dans une diatribe contre le général Benjamin Franklin Butler, commandant de l'armée fédérale en Louisiane. Une récente décision de cet officier, commentée par les journaux, lui valait, dans tout le Sud, les surnoms de Bête du Mississippi et de Boucher de New Orleans.
     
    – Au mois de mai, ce soudard, qui pille les plantations, enlève les cloches

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