Retour à Soledad
nous faire assassiner, afin de prendre nos biens », répétait Varina.
« Mon père, comme d'autres hommes d'affaires de New York, dit, lui, que dès les premières escarmouches avec le Nord, les États du Sud auraient dû s'engager à abolir l'esclavage dans les prochaines années. Ainsi votre Confédération eût été reconnue comme nation indépendante par les Européens, et la guerre aurait tourné court », répliquait Ann.
Entre les deux Américaines, contraintes de vivre loin de chez elles, s'établit au fil des jours une relation amicale, chacune estimant accomplir une bonne action, la valide en visitant la paraplégique et en poussant son fauteuil roulant dans les allées du jardin, l'infirme en invitant souvent la réfugiée à partager son dîner. Au cours de ces après-midi, si la fille de Jeffrey renonça vite à comparer le sort des esclaves à celui des Noirs accueillis aux Bahamas, elle s'efforçait en revanche de corriger l'opinion de la Sudiste sur le peuple des Arawak dont elle avait appris l'histoire par Ounca Lou et Edward Carver. Que les malheureux ancêtres, pacifiques et doux, des Indiens de Soledad eussent été massacrés par les Carib, qu'ils aient proscrit les armes et produit de belles sculptures de pierre polie, dont une tête en andésite noire offerte par Edward Carver, laissait Varina indifférente et ne faisait pas évoluer d'un iota la détestation qu'elle vouait aux Indiens comme aux Noirs.
Cette obstination fut confirmée aux yeux de tous quand, ayant conseillé à sa cousine par alliance de rendre une visite protocolaire au cacique des Taino, Maoti-Mata, comme le faisaient tous les visiteurs de marque à Soledad, lord Simon essuya une rebuffade.
– En Amérique, nous avons su nous débarrasser des Peaux-Rouges et autres coupeurs de têtes. Ce n'est pas pour que j'aille faire des grâces à des Sauvages que le gouvernement de la reine Victoria entretient au lieu de reconnaître la Confédération des États du Sud, pays de haute civilisation ! répliqua-t-elle d'un ton aigre.
Lord Simon haussa les épaules et tourna les talons, estimant Varina imperfectible.
Si celle-ci refusa d'être présentée au cacique des Arawak, elle tint à faire une visite de courtoisie à la sœur de lord Simon.
En passant pour la première fois le pont de Buena Vista, un jour où la mer était grosse, Varina frôla la crise de nerfs. Arrivée sur l'îlot, l'épouse du planteur ne put retenir sa stupéfaction à la vue de Fish Lady qui revenait de la pêche à demi nue, un gros mérou fiché dans son harpon, en compagnie d'Arawak exubérants.
– Vous vivez vraiment comme au temps de Christophe Colomb ! lança-t-elle, fascinée par l'opulente chevelure, sphère de boucles grises, qui donnait à lady Lamia une allure de sorcière océane.
Quand, plus tard, à l'heure du thé, celle-ci la reçut en robe de coton blanc, ornée de dentelle au décolleté et aux poignets, Varina crut bon, avec son manque de tact habituel, de complimenter Lamia sur sa toilette, comme elle l'eût fait à une primitive attifée à l'européenne, encore que le collier en dents de requins de son hôtesse lui parût déplacé au cou d'une lady.
De ces promenades, les accompagnatrices de l'Américaine rentraient exténuées, la tête farcie de considérations sur la paresse des Noirs, leur tempérament libidineux, leur fourberie, mêlées à d'affreux récits de viols et de meurtres perpétrés par des esclaves sur des femmes blanches.
Au retour d'une de ces excursions, Ounca Lou confia à son mari le peu de sympathie qu'elle éprouvait envers la Sudiste.
– Vaniteuse et égoïste, Varina déteste les enfants. Elle exige qu'on éloigne Pacal de ses jupes dès qu'elle arrive et refuse que nous l'emmenions en promenade avec nous. Elle tient tous les insulaires blancs pour des rustres. Elle assure, sans rire, incarner la fine fleur de la très élégante société de plantation, dont on veut tout ignorer aux Bahamas. À mon avis, elle ne restera pas longtemps ici, au milieu des rustauds et des nègres. Elle n'attend qu'une occasion de se rendre à Nassau où, lui a dit Malcolm, le Royal Victoria Hotel offre l'ambiance mondaine qui fait défaut à Soledad.
– Votre père a le sens des responsabilités acceptées. Le cousin Bertie III lui a confié sa femme. Il ne la laissera pas quitter Soledad pour aller batifoler à New Providence. Nous devrons peut-être
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