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Retour à Soledad

Retour à Soledad

Titel: Retour à Soledad Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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l'impossibilité d'écrire. »
     
    Alors qu'on venait, à Soledad, de célébrer l'Épiphanie 1865, le bateau-poste de Nassau apporta l'explication de ce mystère. Dans une lettre à Charles Desteyrac, Robert Lowell demandait qu'on excusât un long silence, motivé par l'incapacité physique de tenir une plume. La confirmation de ce que Charles et Ounca Lou avait pris pour charitable invention de la tante de Viola leur donna à penser que la vieille Arawak possédait peut-être un réel pouvoir de divination.
     
    Charles lut à Ounca Lou, non sans émotion, la lettre de Bob, de qui l'écriture hiéroglyphique, suite de lettres isolées, simplifiées, inégales, lui parut celle d'un très jeune écolier s'appliquant à bien faire. Après avoir demandé la compréhension de son ami pour cette graphie chancelante, l'ingénieur en exposait la raison.
     
    « Lors de la bataille de Shiloh, sur le Tennessee, en avril 1862, une nouvelle grenade Ketcham, qu'en tant qu'officier je me devais de lancer le premier, m'a explosé dans les mains, les déchiquetant. Pour éviter que la gangrène ne se mette aux bras, nos chirurgiens décidèrent, après deux semaines de soins inutiles, de m'amputer. Perdre ses deux mains est une calamité que je ne puis souhaiter à mon pire ennemi. Ne plus avoir de mains, c'est perdre ce qu'Aristote appelait “l'instrument des instruments”, c'est être privé du sens du toucher. Certes, j'étais vivant, alors qu'en deux jours mille sept cents de mes camarades avaient été tués et plus de sept mille plus ou moins grièvement blessés par les Sudistes, mais j'étais infirme. Les amputations cicatrisées, comme je voulais continuer à servir notre cause abolitionniste, le général McClellan fit de moi un professeur d'artillerie pour former les servants de nos pièces. Ne pouvant écrire avec les crochets dont on m'avait affublé les avant-bras et qui me permettaient tout juste de porter un sac et d'ouvrir un tiroir, je ne voulus pas, comme d'autres, faire appel à un tiers pour rédiger ma correspondance. J'étais dans un tel abattement que je ne souhaitais plus entretenir de relations, même avec ceux et celles que j'aimais. Puis vint le jour où un médecin m'apprit que le gouvernement de l'Union, effaré par le nombre des militaires amputés, venait de commander, en France, des jambes, des bras et même des mains prothétiques, inventés par un de vos compatriotes, le comte de Beaufort 1 . Ce savant, s'étant rendu compte que la plupart des mouvements de la main se réduisent à l'action d'une pince formée par le pouce et les quatre autres doigts, a conçu, parmi d'autres appareils, celui qui m'a redonné goût à la vie. J'ai dû attendre trois mois la livraison des prothèses. Maintenant, grâce à deux mains artificielles, fixées à mes moignons par des lacets de cuir, je peux, avec un pouce – rendu mobile par la tension d'une corde à boyaux, qu'un mouvement du bras suffit à faire agir – et les quatre autres doigts fixes, saisir des objets légers, me servir d'une fourchette, jouer aux échecs, ma distraction favorite, et tenir une plume pour écrire aussi lisiblement que vous le constatez. Ces mains de bois sont recouvertes d'un cuir fin qui dissimule le mécanisme du pouce. Mon infirmité, même en partie compensée par cette mécanique, m'interdit de penser à toute fréquentation féminine... car la main est aussi instrument de caresse ! Quelle femme voudrait un époux aux mains déperdues ? Je pense bien sûr à la si douce Viola, qui doit me croire bien oublieux. Dans le cas où elle-même ne m'aurait pas complètement oublié, je compte sur vous pour lui exposer les raisons de mon silence et lui dire mon regret de devoir renoncer à des projets qui, bien que très vaguement formulés, semblaient lui plaire. »
     
    Ounca Lou essuya une larme et Charles demeura un instant silencieux, imaginant l'ingénieur, qu'il avait vu dessiner des plans avec une parfaite assurance, réduit à se contenter de gestes élémentaires. Il acheva la lecture de la lettre qui comportait un post-scriptum.
     
    « Je ne perds pas de vue que je me suis autrefois engagé à trouver pour lord Simon une locomotive et des wagons. Dès que les circonstances le permettront – car nous allons gagner cette guerre stupide –, et si le maître de Soledad n'a pas renoncé à son projet d'un chemin de fer, je me ferai un devoir de réunir pour lui le matériel nécessaire. Peut-être serait-ce

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