Retour à Soledad
Mark Tilloy.
Ce soir-là, alors que les invités quittaient Cornfield Manor, Ounca Lou et Charles furent retenus par lord Simon, qui les conduisit dans la bibliothèque, ferma la porte et les fit asseoir avec cérémonie. Cela présageait un discours un peu long. Les avant-bras posés sur les accoudoirs de son fauteuil, il s'adossa, s'éclaircit la gorge et parla.
– Je n'ai pas encore eu le temps de vous dire combien me touche au cœur le fait que vous ayez donné à votre fils, mon petit-fils, mon prénom de Simon, et celui, arawak, de Pacal, en plus d'Alexandre, prénom de votre défunt père, mon cher Charles. Je n'espérais plus un tel bonheur. Ma pauvre Ottilia, ce n'est plus un secret, ne pouvant procréer, j'ai vu, vieil aristocrate marchant vers la tombe, mon ingratitude passée, non seulement absoute mais récompensée. J'ai un héritier de mon sang ! J'en tire encore plus de satisfaction du fait que cet enfant a dans les veines, par sa mère, du sang des Arawak, du sang des premiers possesseurs de Soledad, que j'ai toujours respectés. Cette île, mes enfants, était depuis cinq générations, par la volonté de Charles II d'Angleterre, la patrie d'adoption des Cornfield. Elle est maintenant, pour l'enfant de la sixième génération, une terre natale. Cela change beaucoup de choses. Lors de mon séjour en Europe, j'ai compris que j'appartenais à Soledad plus encore que Soledad ne m'appartient. Vous lui appartenez aussi, mais votre fils, lui, en est le nouvel indigène. Et, après ce que j'ai vu et vécu à Londres et à Paris, je crois pouvoir dire que Soledad sera l'un des derniers refuges de la civilisation et du bien-être.
Assez émus par les propos du lord, habituellement dédaigneux de toute considération sentimentale, Charles et Ounca Lou se taisaient, étonnés.
– Je me dois donc dès maintenant, reprit Simon, d'assurer votre bien-être et celui de l'enfant. Aussi ai-je décidé que vous auriez, dans le Cornfieldshire, une résidence à votre goût. Votre bungalow de célibataire, Monsieur l'Ingénieur, ne peut convenir au confort d'une famille. Aussi, mon cher Charles, choisirons-nous demain un terrain dont la situation vous convienne, et Murray vous bâtira la demeure que vous voudrez sans que vous ayez à en considérer le coût, qui est mon affaire. Vous aurez aussi, dorénavant, la libre disposition du brick Apollo . Il vous appartient. Vous verrez, avec Colson ou Tilloy, à régler son armement.
– C'est trop généreux de votre part ! Un jour, Alexandre Simon Pacal vous en remerciera, comme nous-mêmes aujourd'hui, lâcha Charles, un peu décontenancé par ces prodigalités.
D'un geste de la main, lord Simon balaya les remerciements présents et à venir.
– Nous aurons aussi, Monsieur l'Ingénieur, à parler des travaux que j'envisage et que je vous demanderai de bien vouloir diriger. La nouvelle route établie par vos soins entre le port occidental et Cornfield Manor est un modèle du genre ; je vous en félicite. Pensez qu'à partir de demain, Monsieur mon Gendre, vous travaillerez aussi pour votre fils, conclut Cornfield avec un sourire.
Avant que Charles et sa femme aient eu le temps de parler, lord Simon quitta vivement son siège et vint embrasser Ounca Lou, avant de donner une accolade paternelle à Desteyrac. Il se retira sans rien ajouter, comme honteux de l'émotion qu'il avait jusque-là su maîtriser.
1 Voiture à quatre roues comportant deux sièges et un toit fixe. Initialement fabriquée à Rockaway, ville du New Jersey.
2 Miss Rabat-Joie, Miss Éteignoir.
3 De Chicago.
3.
Tel un seigneur recevant, au retour des croisades, l'hommage réitéré de ses vassaux, lord Simon, retour d'Europe, reçut à Cornfield Manor tout ce qui comptait dans la société insulaire. Pendant quelques jours se succédèrent, après le cacique Maoti-Mata, accueilli avec cérémonie, ceux que le major Carver appelait les notables. Vinrent ensuite les officiers de la flotte Cornfield, les maîtres d'école, les pêcheurs d'éponges et de conques conduits par Sima, les artisans, les cultivateurs, le personnel de l'hôpital et les chefs des principales familles des Arawak.
Cette confirmation d'allégeance fit sourire Charles Desteyrac, car elle comportait, de la part du lord, une remise de cadeaux auxquels les bénéficiaires attachaient d'autant plus de prix qu'ils venaient du Royaume-Uni. Maoti-Mata se vit offrir
Weitere Kostenlose Bücher