Retour à Soledad
sincèrement satisfaite de t'avoir pour sœur. Elle a aussi grande estime pour Charles, acheva Lamia.
– J'ai longtemps cru qu'elle était même amoureuse de lui, risqua Ounca Lou.
Lady Lamia cessa de balancer le hamac et parut hésiter à répondre.
– À sa façon d'être amoureuse, sans doute. Ce qui ne met pas en danger votre couple. Il faut dire que ton Charles est des plus séduisant. Physiquement, intellectuellement et d'un parfait savoir-vivre : très français, en somme. La première fois qu'il est venu me voir à Buena Vista pour me convaincre d'accepter ce pont, je puis te dire que si j'avais eu vingt ans de moins...
– Oh ! C'est...
Ounca Lou retint la suite de son exclamation à la vue du coupé de lord Simon qui s'arrêtait devant la petite galerie.
Après les salutations aux deux femmes, Cornfield s'approcha du hamac. Pacal – c'est ce prénom que tous semblaient en effet avoir retenu –, jusque-là souriant et jouant avec ses doigts, se figea, le regard fixe.
– C'est votre moustache qui lui fait peur, dit Lamia.
– Quand va-t-il marcher ? demanda le lord en se redressant.
– D'ici dix mois ou un an, répondit Lamia.
Cornfield émit un grognement d'ours impatient, qui fit glousser le nouveau-né dont le regard s'illumina. Lord Simon, aussi ému qu'étonné, se pencha sur l'enfant et, par jeu, grogna plus fort, ce qui fit redoubler la gaieté de Pacal.
– Vous voyez qu'il n'a pas peur, dit-il.
– Je crois qu'il vous trouve comique, pouffa Lamia.
– Ce serait bien le premier. D'habitude, quand il m'arrive – oh, bien rarement, et par politesse pour une mère – de regarder un enfant d'un peu près, il se met à pleurer, dit Simon.
– Le sang Cornfield mêlé au sang des Arawak fait donc les garçons sans peur, dit Ounca Lou, amusée.
Lord Simon posa sur la jeune femme un regard caressant.
– Je suis venu vous dire encore merci pour ce cadeau, Ounca. Soignez-le bien. Nous en ferons un homme, affirma-t-il avant de prendre congé sans accepter de rafraîchissement.
Alors que la jeune mère le reconduisait jusqu'à sa voiture, lord Simon lui prit affectueusement le bras.
– Je vais lui faire fabriquer un vrai lit en acajou. À le balancer comme ça dans un hamac, vous allez l'amollir, dit-il en montant en voiture.
Au cours de l'automne, tandis que Malcolm Murray pressait l'achèvement de sa demeure et des dépendances qu'il y avait ajoutées, que Charles Desteyrac s'entretenait avec lord Simon des futurs travaux de Soledad, Ottilia rendait de fréquentes visites à Ounca Lou. Dès qu'elle apparaissait, lady Lamia s'éclipsait, souhaitant laisser les deux sœurs tête à tête. Elle savait que sa nièce n'attendait que le moment où Ounca lui confierait son fils qu'elle pourrait bercer dans ses bras.
Un après-midi, le bébé, blotti dans le décolleté largement ouvert d'Ottilia, se prit à chercher instinctivement, lèvres ouvertes, le bout du sein pressé contre sa joue. La jeune femme repoussa ce contact et rendit précipitamment l'enfant à sa mère.
– Il a faim... et je...
Un sanglot empêcha Ottilia d'achever sa phrase. Elle quitta son fauteuil et s'en fut cacher ses larmes à l'autre bout de la galerie. Ounca Lou tendit l'enfant à la jeune Arawak qui la servait, rejoignit Ottilia et entoura de ses bras sa demi-sœur.
– Ne soyez pas malheureuse, Otti. Vous êtes la seule personne à qui je confierai mon enfant. Il grandira entre nous et je suis certaine que, plus tard, vous lui apporterez beaucoup. Une tante, c'est important, et sa marraine, lady Lamia, est déjà âgée.
Ottilia rendit l'étreinte, sécha ses yeux et reprit place dans le rocking-chair, mais laissa Pacal à la domestique.
– Voyez-vous, à Paris, j'ai conçu un fol espoir. Une Anglaise, amie de la défunte Mme Récamier, laquelle souffrait de la même malformation que moi, me dit qu'il était devenu possible, récemment, par une intervention chirurgicale, de remédier à ce défaut. J'ai rendu visite au chirurgien, un homme distingué et très aimable. Il m'a dit ne plus pratiquer l'opération, qu'il n'a tentée que deux fois, car ses patientes n'ont pas survécu. « Quand on veut aller contre un tel choix de la nature, madame, la nature se venge », m'a-t-il dit.
– Vous auriez pris ce risque ?
– Certes ! Mais ne parlons plus de cela. D'ailleurs,
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