Retour à Soledad
un grand portefeuille de cuir rouge aux armes d'Angleterre, « le même que celui dont usent les ministres pour transporter leurs dépêches », fut-il précisé ; le père Taval accepta une gravure représentant la cathédrale Saint-Paul ; les Russell furent gratifiés d'une bonbonnière en porcelaine de Wedgwood ; Sharko, gérant du Loyalists Club, et les commandants des ports reçurent chacun une montre ; les autres, un briquet à amadou ou un couteau pliant.
En plus des présents individuels, lord Simon remit à tous une photographie de Sa Très Gracieuse Majesté la reine Victoria et du prince Albert, entourés de leurs neuf enfants. Pris à Osborne quelques semaines plus tôt par le célèbre Caldesi, cet édifiant portrait de famille fut reçu comme une icône.
Très satisfait de la qualité de la nouvelle route qu'il avait empruntée en débarquant, Cornfield demanda plus tard à Charles de lui amener les terrassiers. Il tint à les féliciter pour leur travail avant de remettre à chacun une demi-guinée. Comme l'ingénieur s'étonnait de cette générosité, lord Simon lui fit signe d'approcher.
– C'est un investissement, lui glissa-t-il à l'oreille, car ces gaillards vont devoir travailler encore, et rien ne vaut une bonne-main pour stimuler l'activité ou, tout au moins, combattre leur native indolence !
– Pour que le cérémonial soit complet, ne manque qu'une délégation des gentilles prostituées de toutes couleurs que nous cachons près de la résidence des marins célibataires ! ironisa Murray.
– Je ne les ai pas oubliées, mon garçon, car ces femmes concourent, à leur manière, à maintenir sur notre île un climat serein et, j'ose même dire, moral. Les Grecs les respectaient comme indispensables à la bonne tenue de la cité. Je leur ai fait porter des pièces de soieries et des eaux parfumées. L'une d'elles m'a fait transmettre par Michael Hocker, qui semble les bien connaître, les remerciements de leur petite mais active communauté, dit lord Simon, le regard malicieux.
Une fois de plus, Desteyrac admira la sagesse et la tolérance de cet autocrate désireux de gérer son île non comme un domaine, mais comme un État. Partout dans l'archipel, les indigènes enviaient les gens de Soledad que les fonctionnaires de Nassau nommaient, de manière péjorative, « les sujets de Sa Seigneurie le lord des Bahamas ».
À la fin de l'après-midi, alors que Charles allait reconnaître avec Murray et Carver, au pied du mont de la Chèvre, le terrain sur lequel il avait jeté son dévolu pour faire construire sa demeure, lord Simon se fit annoncer par le majordome Pibia au domicile de l'ingénieur. Ounca Lou s'y trouvait en compagnie de lady Lamia et du bébé. Alexandre Simon Pacal gazouillait dans le hamac offert par Maoti-Mata, suspendu sous la galerie. Lamia le balançait tout en conversant avec sa filleule.
– C'est bien la première fois que je vois mon frère se déplacer pour un nouveau-né ! Il ne considère l'existence d'un enfant que du jour où celui-ci est capable de monter à cheval et de tenir un fusil. Il ne supporte pas la vue d'une femme enceinte et, à Cornfield Manor, dès qu'une camériste ou une lingère montre quelque signe précurseur de maternité, il demande à l'intendant de la renvoyer. Il ne veut voir que des femmes au ventre plat ! dit Lamia en riant.
– Mais Alexandre n'est pas un enfant ordinaire. C'est son petit-fils et, comme tel, nous a-t-il assuré, à Charles et moi, son héritier, observa Ounca Lou.
– Je sais. Nous en avons parlé dès son retour. Il a convoqué son notaire de Nassau afin qu'il prenne acte de ses volontés en ce qui concerne sa succession et les transmette à ses notaires de Londres. Je puis te dire que votre fils, si Dieu lui prête vie, sera un jour maître de Soledad avec le titre de baronet, héréditaire pour les mâles. N'oublie pas que tu as été très légalement adoptée par Simon comme sa fille cadette.
– Mais, que va penser Ottilia ? Ne sera-t-elle pas, de ce fait, déshéritée ? s'inquiéta Mme Desteyrac.
– Ottilia aura sa part, rassure-toi. Les filatures de Manchester, entre autres affaires. Et puis, ma nièce a sans aucun doute d'étranges défauts, mais elle n'est pas intéressée par la possession de biens. Elle n'aime l'argent que pour ce qu'il procure de plaisirs, de toilettes ou d'œuvres d'art. Enfin, je crois qu'elle est très
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