Retour à Soledad
des Nordistes vainqueurs, avait déjà été nommé président du Washington College, à Lexington, Virginie. Ces nouvelles réjouirent les anciens planteurs sudistes réfugiés dans l'archipel où leur influence économique et politique ne cessait de croître, ce qui indisposait autant les colons britanniques que les élus bahamiens. Quant au rappel de l'exécution, par Juárez García, révolutionnaire, ennemi juré des Français, de Maximilien, archiduc d'Autriche, promu empereur du Mexique par Napoléon III, il valut à Charles Desteyrac une commisération de pure courtoisie.
Au cours du voyage de retour, à bord du Phoenix , Charles eut l'occasion de s'entretenir avec Ottilia plus familièrement qu'il n'avait pu le faire depuis longtemps. Le dernier jour, alors que le port occidental était en vue, ils se retrouvèrent accoudés côte à côte à la lisse, admirant une fois de plus le profil allongé de l'île fleurie, dominée en son centre par le mont de la Chèvre, passerelle d'un grand vaisseau de corail. Comme de vieux amis, ils évoquèrent le passé, depuis leur première rencontre, à bord de ce même navire, au départ de Liverpool. Quatorze années s'étaient écoulées et une foule d'événements avait agité leur vie.
Puis, comme Charles s'informait de ce qu'il était advenu de Gertrude Lanterbach, Ottilia ne cacha pas son dépit.
– Elle m'a beaucoup déçue, après que je l'eus assistée sur le bateau – quand elle fit une fausse-couche et que l'on craignit un moment pour sa vie ; rétablie, elle m'a plantée là, dès l'arrivée à Londres, pour rentrer dans sa famille, en Alsace. Nul doute qu'elle sera là-bas un beau parti, car, fort économe et entretenue chez nous, comme vous avez pu le voir, depuis plus de vingt ans qu'elle était à mon service, elle avait placé fort intelligemment tous ses gages. Enfin, qu'elle soit heureuse !
– Elle était donc vraiment enceinte de Tilloy en quittant Soledad, s'étonna Charles.
– De Tilloy ou de Malcolm : elle a été incapable de le dire. Car, après son simulacre de noyade, ses relations avec Murray ont repris, en cachette cette fois, sans que ni vous ni Ounca Lou vous en soyez rendu compte. Cette femme sanguine, à l'occasion fort dévouée à ma personne, avait non seulement le feu sous son jupon, mais aussi une grande capacité de dissimulation. Et je peux vous assurer que cela coûta cher à Malcolm ! révéla Otti.
– Épisode plus trivial que libertin, commenta Desteyrac.
– Du passé, Charles, nous ne devons conserver en mémoire que l'image des êtres estimables que nous avons aimés, et les moments heureux. Vous en avez connus et vécus plus que moi. Aussi, partager vos souvenirs me fait grand bien.
– Ils font partie de notre lot commun. C'est une chose dont je prends conscience en vieillissant, dit-il, posant l'index sur sa tempe grisonnante.
– Comme vous, j'approche la quarantaine, observa-t-elle.
– Pour un homme, c'est l'âge où s'épuisent les illusions, où flanchent les ambitions, où le devoir, souvent, se substitue à la recherche du plaisir. Après, vient le détachement, commenta Charles.
Ottilia estima l'instant et l'ambiance propices pour poser à l'ingénieur la question qui, depuis des semaines, taraudait son esprit.
– Quand, dans quelques années, bientôt peut-être, vous accompagnerez Pacal à Paris pour ses études, reviendrez-vous à Soledad ?
– Pacal en pension, les travaux commandés par votre père terminés, je n'aurai plus, après la mort d'Ounca, de raisons de vivre ici, Otti.
– Bien sûr, vous n'aurez plus de raisons de vivre à Soledad, bien sûr..., répéta-t-elle d'une voix enrouée, avant de s'éloigner sur le pont.
Charles la regarda marcher vers l'arrière du bateau. À trente-six ans – il ne comptait que deux ans de plus qu'elle –, Ottilia restait au mieux de sa beauté. En confirmant l'élégance et l'harmonie de ses formes, la maturité adoucissait ce qu'elles avaient eu autrefois de provocante arrogance.
– Plus désirable que jamais, hein, murmura Mark Tilloy dans son dos, sans qu'il l'eût entendu venir.
– Et aussi plus malheureuse que jamais, répliqua Charles.
Quand il résidait à Valmy, Charles, avant le coucher de Pacal, demandait à son fils de raconter sa journée. Il exigeait de l'enfant qu'il le fît en français. Même émaillé d'anglicismes qu'il
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