Retour à Soledad
Charles.
– Comme on ne peut, aujourd'hui encore, nier l'utilité d'une telle pratique, car beaucoup de vies sont sauvées chaque année par nos wreckers , les autorités ont décidé de délivrer des licences de... sauvetage à des patrons de pêche. Depuis 1858, trois cent deux entreprises de wrecking , employant plus de deux mille six cents hommes d'équipage, ont été dûment accréditées. Les marchandises officiellement récupérées par les sauveteurs sont souvent vendues aux enchères et, pour les bâtiments déclarés secourus, les wreckers touchent une indemnité d'au moins 1 500 livres sterling par bateau. Je tiens de l'amirauté qu'entre 1855 et 1864, pour trente-sept bateaux secourus, il a été versé 59 958 livres d'indemnités, soit 1 620 livres par bateau. Mais, dans le même temps, près de quatre cents bateaux ont dû se perdre ou s'échouer sur nos côtes, précisa lord Simon.
– Mgr Venables dit que les habitants des Bimini Islands passent pour les plus rapaces de tous. On pense même qu'ils allument des feux pour attirer les navires sur les récifs, dit Charles.
– Je vois bien où l'évêque veut en venir. Il se peut qu'aux Bimini Islands, les terres les plus proches de la côte américaine, on allume encore des feux comme au temps des pirates, mais il existe aujourd'hui d'autres méthodes, moins brutales et plus profitables, pour faire de l'argent quand les tempêtes ne suffisent pas à drosser les navires sur les rochers. Chaque année, de grands navires, généralement un peu vétustes, appartenant à des armateurs de Nassau qui reviennent, cales pleines, d'Europe ou des États-Unis, font inexplicablement naufrage dans l'archipel. Le capitaine et les marins, toujours sains et saufs, déclarent le bateau perdu avec sa cargaison. En vérité, celle-ci, largement assurée en prévision du naufrage organisé, est récupérée par les wreckers et vendue à Nassau ou ailleurs. L'armateur touche l'assurance, le capitaine et les marins sont grassement payés ; seul l'assureur britannique ou américain se désespère. Tout cela vaut à Nassau mauvaise réputation ! regretta lord Simon.
– La bonne solution, pour limiter les risques de naufrage, est de multiplier les phares sur les côtes les plus dangereuses. Quand vous pensez que Nassau ne possède qu'une seule balise pour indiquer l'entrée du port... Construite en 1816, c'est un feu à huile qui n'a pas grande portée, fit observer Desteyrac.
– L'Imperial Lighthouse Service a décidé de construire des phares et des balises pour signaler les récifs aux navires et délimiter des chenaux sûrs. Mais ça ne plaît guère à nos Lucayens, reconnut Cornfield.
– En tout cas, depuis que les phares à acétylène de Lobos Cay, Stirrup's Cay et Elbow Cay, construits entre 1860 et 1863, fonctionnent, on compte beaucoup moins de naufrages dans ces parages. Je pense, lord Simon, qu'il faudrait construire un phare sur Buena Vista, au Cabo del Diablo, car plusieurs bateaux s'y sont brisés l'an dernier, proposa Charles.
– À vous de convaincre Lamia, mon ami. Vous avez autrefois vaincu son entêtement à propos du pont de Buena Vista, mais, depuis lors, vous avez pu constater son rejet du train. Lamia est toujours, en dépit du bon sens, ennemie du progrès. Je vous souhaite bien du plaisir ! acheva Simon.
Il avait le regard malicieux de qui espère une belle empoignade, dont il sait qu'il sera l'arbitre.
1 Chant funèbre, Cymbeline , William Shakespeare. Traduction française de Louis Cazamian, Stock, Paris, 1946.
2 Fondée à Rochester, État de New York, en 1851. En 1860, elle avait absorbé la plupart des compagnies de télégraphe des États-Unis. Depuis quelques mois, elle acheminait les dépêches entre l'Amérique et l'Europe par câble sous-marin.
3 En 1873, un premier projet avorta et il fallut attendre 1891 et le Telegraph Act pour que le télégraphe fonctionnât par câble sous-marin entre Nassau et Jupiter, en Floride. Les Bahamiens furent si fiers de cette liaison qu'ils nommèrent Cable Beach le lieu, près de Paradise Island, où le câble aboutit.
4 Pour sharks : requins.
5 Industriel américain (1831-1897). Depuis 1859, il transformait, dans ses ateliers de Chicago, les voitures ordinaires en sleeping cars . En 1867, il venait de fonder la Pullman Palace Car Company.
6 Ou capromys, gros rongeur américain, qui cause des dommages aux
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