Retour à Soledad
corrigeait, le récit de Pacal avait valeur pédagogique. Une fois détaillée la revue des matières étudiées, le garçon commentait, suivant ce qu'avait été son emploi du temps : chevauchée avec lord Simon, baignade avec ses amis les Arawak sous la surveillance de Sima, partie de pêche au mérou avec Fish Lady, leçon de piano avec Ottilia, tir à l'arc avec Timbo, champion reconnu dans toute l'île.
Ce soir-là, tandis que Pacal achevait le compte rendu d'une chasse au hutia 6 , Charles remarqua la ceinture de cuir fatigué, à grosse boucle d'argent, qu'exhibait son fils.
– D'où tiens-tu cette belle ceinture ? Elle peut faire deux fois le tour de ta taille, mon garçon, demanda-t-il.
– C'est un cadeau de Takitok. Kameko m'a aussi donné une boîte en joli bois pour ranger mes crayons. Je vais la chercher, dit l'enfant, courant vers sa chambre.
Il revint et présenta un coffret oblong, en ébène de Macassar, intérieur capitonné de soie rouge. Le couvercle portait, en incrustation d'or, un monogramme surmonté d'une couronne comtale.
– C'est une boîte à gants précieuse, sans doute propriété d'une noble dame. Où diable tes amis les Arawak ont-ils trouvé ça ? demanda Charles, qui pensait déjà connaître la réponse.
– Quand un gros bateau se casse sur les rochers, Takitok, Kameko et Nardo vont en barque, avec leur père, chercher les gens qui ont peur de se noyer. Alors, pour les remercier, les étrangers leur font des cadeaux, et puis, s'ils leur en font pas, ils prennent tout ce qu'ils trouvent.
– Tes amis sont des wreckers , des pilleurs d'épaves, mon garçon. Ces objets auraient dû être rendus aux naufragés. Les conserver par-devers soi s'appelle vol par appropriation ! commenta Charles, mimant la sévérité.
– Takitok dit que, si on ramassait pas ce que les gens oublient parce qu'ils ont peur d'être noyés, ça serait pris par la mer et perdu pour tout le monde, expliqua Pacal.
Desteyrac se garda d'insister. Comme tous les habitants de l'archipel, il savait qu'une fois tarie la source de profits née de la guerre de Sécession, les insulaires étaient revenus à la plus contestable de leurs activités ancestrales, le wrecking , ou pillage des épaves. Dès qu'un bateau était signalé en difficulté, ou se rapprochait des récifs dont les îliens escomptaient qu'ils seraient fatals à sa coque, les hommes se précipitaient à la côte, mettaient leur barque à la mer pour recueillir les naufragés, mais aussi s'emparer de tout ce qu'ils pourraient tirer du bateau en perdition ou en attente de remorquage.
Officiellement admise par les autorités bahamiennes, cette curée, sous couvert d'entreprise de sauvetage, était aussi tolérée par l'Amirauté britannique.
L'évêque anglican des Bahamas, Mgr Addington Venables, en poste depuis 1863, s'indignait de ces agissements et les condamnait, mais subsistait chez les îliens, même les plus chrétiens, la conviction primitive que le contenu des épaves constituait une ressource naturelle offerte par l'océan. Les plus indulgents mettaient au compte du sang pirate, qui avait contribué à peupler les îles aux XVII e et XVIII e siècles, ce goût atavique de la maraude.
Quand Desteyrac détailla devant lord Simon l'étrange butin de Pacal, le maître de l'île exulta.
– Mon petit-fils est donc un vrai Bahamien ! Un wrecker ! Cela ne doit pas vous scandaliser. Ici, tout le monde a été, est ou sera pilleur d'épaves. Le wrecking est une compensation légitime aux risques pris par ceux qui vont au secours des naufragés, expliqua Cornfield.
– Il est tout de même difficile d'assimiler cette activité à celle des sociétés de sauvetage telles que nous les connaissons en Europe et aux États-Unis, bougonna Desteyrac.
– Évidemment, nos pêcheurs y trouvent leur profit, car tous les naufrages ne sont pas déclarés, comme prévu par la loi. L'ouragan de l'an dernier, qui nous fut si cruel, causa soixante-trois naufrages, dont trente et un seulement firent l'objet d'un rapport à l'amirauté de Nassau.
– Et les autres ?
– Pour les autres, mystère, mon ami ! Seuls nos braves pêcheurs pourraient dire ce qu'il en est advenu. Mais ne comptez pas sur ce genre de confidences !
– Lewis Colson m'a dit que même les finances publiques tirent bénéfice du pillage des navires naufragés, insista
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