Retour à Soledad
d'autres des mèches de cheveux, des peignes, des portraits miniatures. Certains, même, prélèvent des poils de la plus intime toison de leur maîtresse, ce qui est trivial. Je me contente de conserver la moins dissimulable partie du corps féminin. Même couverte de soie ou de laine, ne se laisse-t-elle pas deviner ? C'est le plus bel avantage physique de la femme. Le plus sensuel, le plus sensitif et le plus respectable aussi, de par sa fonction vitale en cas de maternité. Les seins d'une femme ne peuvent souffrir que la caresse. Les brutalités de l'étreinte doivent leur être épargnées. Le sein me paraît plus aphrodisiaque que le sexe, dont il est bon de faire mystère. D'ailleurs, sculpteurs et peintres ont élu ce symbole de la féminité en acceptant l'épreuve de le représenter dans la variété de ses formes. On sait que les seins dardés de la Vénus de Cyrène, du III e siècle avant Jésus-Christ, appartenaient à une jeune Libyenne. Votre Chassériau a doté son Esther à sa toilette des seins de sa maîtresse, qu'il devait bien connaître, m'a-t-on dit à Paris. Votre Liberté guidant le peuple , de Delacroix, que j'ai vue au Louvre, dénude une gorge superbe, bien que ma préférence aille à la Bacchante de James Pradier, qui, ployée en arrière et se soutenant de ses bras appuyés à un rocher, semble offrir au soleil les seins les plus arrogants.
– Belle collection !
– La mienne, plus originale de par sa fidélité physique et charnelle, ne demande qu'à grandir. Elle est unique, n'est-ce pas, et, par là même, d'un gentleman qui ne recherche en tout que l'unique.
– En somme, le fait de mouler le buste des femmes qui vous ont accordé leurs faveurs serait faire hommage à Aphrodite ! Peut-être avez-vous raison, après tout. Encore que vous ne vous contentiez pas de la forme, mais y ajoutiez la couleur, persifla Charles.
– Savez-vous qu'il n'y a pas deux femmes qui aient la même carnation ni le même grain de peau ? Voyez les aréoles, toutes de tailles et de tons différents, les unes brunes, d'autres ocre, terre de Sienne ou rosées. Et les mamelons ! J'ai eu un mal fou à reproduire leur teinte exacte : carmin, cerise, corail, pourpre, roux, vermillon, violet, jusqu'au fuchsia de cette Mexicaine, dit Murray, désignant de gros seins pointus tels des obus. Savez-vous pourquoi nos jeunes Arawak ont les plus beaux seins qui se puissent trouver ?
– Elles nagent beaucoup, et l'on dit...
– Pas du tout ! La fermeté et le grain de la peau de leurs seins, mon cher, elles l'obtiennent par de fréquents massages avec la décoction d'une substance végétale qu'elles tirent, comme leurs ancêtres, des graines blanches de l' apoya 1 . Elles appellent ainsi le souchet d'Amérique, qui est une graminée de la famille des cypéracées, expliqua doctement Malcolm.
– J'admire votre science !
– Si l'on pouvait conserver ce suc de l' apoya , j'en enverrais en Angleterre à certaines dames ! se moqua Murray.
– Je me demande d'où peut vous venir cette passion ubérale, risqua Charles après un instant de réflexion.
– Peut-être de ce que ma mère, craignant de voir l'allaitement abîmer sa poitrine, d'une beauté reconnue, aurait, m'a-t-on dit, refusé de me nourrir. Faute que l'on me trouvât assez vite une nourrice, j'ai failli, le jour même de ma naissance, mourir de faim ! lança Malcolm en riant pour atténuer la gravité de la confidence.
Desteyrac demeura un instant pensif pendant que son hôte refermait l'armoire aux bustes. L'allaitement de Pacal n'avait pas endommagé les seins d'Ounca Lou. Dès les relevailles, elle avait repris la natation et sa vie active. Ses seins – Charles ne put évoquer cette vision sans un soupir – avaient retrouvé fermeté et grain soyeux, même si leur volume avait un peu augmenté. « Ils n'eussent pas dépareillé la collection de cet érotomane », songea Charles.
En quittant cette pièce où Malcolm aimait à se retirer, Charles Desteyrac, refusant de mettre en cause l'équilibre mental de son ami, voulut savoir où et comment lui était venue l'idée d'ensevelir, sous son atelier d'architecte, des collections si étranges.
Murray se livra de bonne grâce.
– Pendant mon séjour en Angleterre, j'ai visité, à Londres, le cabinet de curiosités d'Ashton Lever, à Leicester Square, et à Hereford, le manoir gothique de Samuel Rush Meyrick,
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