Retour à Soledad
entre hommes : Ottilia est à Buena Vista, chez sa tante.
Quand Mortimer, avec des gestes pleins d'onction de clergyman, eut servi les alcools rosés, Malcolm approcha son siège de celui de Charles.
– Mon cher, voici du nouveau : Varina, devenue veuve, comme vous savez, par la mort de Bertie III, a épousé son hidalgo, un des plus riches planteurs de Cuba.
– Celui qui racheta les perles que vous aviez perdues au jeu ? interrompit Desteyrac.
– C'est bien lui.
– Un vrai roman ! commenta Charles.
– D'après Varina, qui m'écrit à la demande de son nouveau mari, ce planteur prépare, avec d'autres grands propriétaires, la plupart membres de la Buena Fe, une loge maçonnique de Manzanillo, une révolution à Cuba.
– Une de plus !
– Celle-ci a plus de chances de réussir, parce qu'en février 1867 le gouvernement a alourdi la fiscalité coloniale d'un nouvel impôt, payable par tous, y compris les Espagnols, ce qui rend ces derniers furieux. Et cela, en pleine crise économique, résultat, là encore, de la fin de la guerre civile américaine. Ces riches propriétaires sont déterminés et assurés d'avoir avec eux les paysans créoles, les mulâtres, les nègres libres, et même leurs esclaves, à qui ils font miroiter une liberté à l'américaine. Ne leur manquent que des armes. Or, des armes et des munitions, il en reste à Nassau, qui ne trouvent plus preneur depuis la défaite du Sud. Ces armes et ces fournitures, je les ai acquises à un bon prix et je vais les revendre avec bénéfice aux distingués révolutionnaires cubains, révéla Murray.
– Bonne transaction commerciale, en effet, dans le plus pur mercantilisme britannique ! ironisa Charles.
– Opération mercantile, soit, mais aussi altruiste, puisqu'il s'agit d'aider ceux qui veulent libérer Cuba du joug de Madrid. Le moment est d'ailleurs bien choisi puisque, en Espagne, le 19 septembre, un soulèvement militaire, organisé par le général-marquis Juan Prim y Prats et le général Francisco Serrano y Domínguez, duc de la Torre, a triomphé, à Alcolea, près de Cordoue, de l'armée restée fidèle au gouvernement. Le 20 septembre, Isabel II s'est enfuie. Il semble que la monarchie espagnole ait vécu. Mais ce n'est pas pour autant que les libéraux radicaux, qui ont pris le pouvoir à Madrid, accepteront un changement de régime à Cuba, expliqua Malcolm.
– J'imagine que les autorités cubaines sont déjà informées des projets des amis du mari de Varina. Et puis, les livraisons d'armes seront risquées : la marine espagnole doit être en état d'alerte, dit Desteyrac.
– Évidemment, il me faut livrer les armes, et notre beau-père a refusé de mettre un de ses bateaux à ma disposition. Aussi ai-je loué un des derniers blockade runners se trouvant encore à Nassau. J'embarque après-demain pour Cuba, car les conjurés exigent de disposer des fusils avant le 5 octobre, précisa Murray.
– Vous vous lancez dans une aventure qui peut mal tourner, Malcolm. Vous voyez-vous prisonnier des Espagnols ? Ils ne sont pas tendres avec les comploteurs. Ils les pendent ou les fusillent. Y avez-vous pensé ?
– C'est parce que j'y pense que je vous remets les clefs de mon cabinet de curiosités. Mortimer en connaît l'existence, mais n'y a pas accès. Si je ne revenais pas, détruisez tout par le feu, dit Malcolm en tendant un trousseau à Charles.
– Essayez tout de même de revenir... avec de nouveaux trophées ! conclut Desteyrac en empochant les clefs.
À dater de ce jour, lord Simon et Charles Desteyrac guettèrent les nouvelles en provenance de Cuba. Plus vite rapporté par les marins que par les journaux, le soulèvement déclenché le 10 octobre à Manzanillo, par Carlos Manuel de Céspedes, propriétaire d'une sucrerie, et Francisco Vicente Aguilera, semblait réussir. Au cri de ¡ Cuba libre ! , les insurgés, dont plusieurs libéraient leurs esclaves pour mieux les enrôler, avaient affronté avec succès les troupes espagnoles à Yara et Jiguani, avant de prendre possession de la ville de Bayamo. La révolte s'étendait à l'ouest de l'île, et l'on s'attendait à la proclamation de la république, à l'abolition de l'esclavage et à la rédaction d'une constitution par les insurgés. Les premières échauffourées passées, le nouveau gouvernement espagnol, moins libéral que n'espéraient les insurgés, annonça
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