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Retour à Soledad

Retour à Soledad

Titel: Retour à Soledad Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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autorisation, le phare du Cabo del Diablo sera bâti et pourvu d'un gardien qui allumera les lampes dès la tombée de la nuit, et aussi par temps de brouillard, précisa l'ingénieur, satisfait.
     
    – Un gardien ! Au Cabo del Diablo ! Il ne pourra y rester la nuit !
     
    – Pourquoi donc ? chère Lamia.
     
    – Parce que, Ma Mae vous le dira, les fantômes des femmes, autrefois enfermées sur Buena Vista par les pirates, et qui, dit-on, préférèrent se jeter dans l'océan, du haut du Cabo del Diablo, plutôt qu'assouvir les désirs des dépravés, viendront le tourmenter chaque nuit, murmura sans rire Fish Lady.
     
    – Vous ne croyez tout de même pas à ces sornettes !
     
    – Le galant de Silvana s'était, une nuit, aventuré au Cabo del Diablo. Il est rentré ici terrorisé. Il avait entendu des voix mauvaises lui crier : « Va-t'en ! Va-t'en ! Va-t'en ! » Tous mes gens vous diront que les âmes des femmes martyrisées par les pirates ne supportent plus l'approche d'un homme, même honnête, compléta Lamia, cette fois avec le sourire.
     
    – Revenantes, vierges et folles ! s'exclama Charles.
     
    – Naturellement, ce sont les criaillements des oiseaux de mer qu'entendit le galant de Silvana. Ils se rassemblent, la nuit, sur les rochers. Le garçon les avait dérangés dans leur sommeil : d'où leurs cris de colère, expliqua Fish Lady.
     
    – Alors, peut-être choisirons-nous une gardienne de phare plutôt qu'un homme ! plaisanta Charles.
     
    – Maintenant, je vais vous faire une confidence, Charles. Mon frère vient d'investir de fortes sommes dans une société qui construit des navires et des wagons pour la Standard Oil, une compagnie pétrolière américaine fondée par un certain John Davison Rockefeller, au capital d'un million de dollars. Il ne dispose donc pas, dans l'immédiat, des capitaux nécessaires à la construction de votre phare.
     
    – Lord Simon voit le pétrole comme de l'huile d'or. Il pense, avec raison sans doute, que ce sera, dans un proche avenir, le sang de l'industrie et de la finance. Il m'a même dit : « Un jour, les nations se battront pour la possession du pétrole », rapporta Charles, résigné.
     
    – Il vous faudra donc patienter, mon ami.
     
    – Ce phare, Carlotta, il se peut que je ne le construise jamais. Je compte, l'an prochain, conduire Pacal en France, pour qu'il suive des études qui le prépareront au concours de l'École polytechnique, et il se peut que je ne revienne pas, dit Charles.
     
    Lamia, qui appréciait d'entendre Charles, qu'elle aimait tendrement, l'appeler par son vrai prénom, lui prit la main.
     
    – Mon frère tient trop à son petit-fils pour envisager de le voir s'éloigner définitivement.
     
    – Mais nous avons parlé de l'avenir de Pacal, qu'il voit comme le futur maître de Soledad. Lui-même m'a dit : « Le destin de nos îles appartient aux ingénieurs, seuls capables d'y introduire le progrès qui se répand à travers le monde. » Il ne sera donc pas privé de son petit-fils, lequel aime et admire beaucoup son grand-père. Pacal reviendra, précisa Desteyrac.
     
    – Mais vous ?
     
    – Mon cas est différent. En perdant Ounca Lou, j'ai perdu ma première raison de vivre ici, Lamia. Les travaux en cours achevés, je devrai trouver du travail ailleurs.
     
    – Je n'imagine pas votre absence, Charles. Vous êtes des nôtres. Et puis, une autre souffrira. Y avez-vous pensé ?
     
    – Otti la Rebelle ?
     
    – Elle vous aime, Charles, ne le savez-vous pas ?
     
    – Il est parfois dangereux d'être aimé, Carlotta, lâcha Charles en prenant congé.
     
    Comme chaque fois qu'il traversait le pont de Buena Vista, dont la peinture bleue, corrodée par l'air marin, s'écaillait de place en place, Charles Desteyrac eut un pincement au cœur. Dès le lendemain des funérailles d'Ounca Lou, Lamia avait attaché à la membrure de l'ouvrage le voile de crêpe dont elle s'était enveloppée pendant la cérémonie. Au fil des années, décoloré, effiloché par les vents, l'emblème du deuil avait perdu toute noblesse. Ce soir-là, Charles détacha le fin tissu et le laissa, porté par la brise, s'envoler au-dessus de la faille. Les vagues grondantes l'avalèrent comme une proie. « Demain, je donnerai l'ordre de repeindre le pont », se dit-il en marchant vers son abri de chantier de Pink Bay, où il passerait la nuit.
     

    L'été apporta de France de fâcheuses nouvelles.

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