Retour à Soledad
Charles en était resté aux informations du printemps quand une lettre de sa mère, septuagénaire, retirée chez les Petites Sœurs des pauvres, lui avait appris les résultats du plébiscite du 6 mai : « Les Français ont confirmé leur attachement à l'Empire et à notre empereur en approuvant massivement son projet d'une nouvelle Constitution 3 », avait alors écrit Mme de Saint-Forin.
Depuis ce succès politique, les relations entre la France et la Prusse s'étaient détériorées, la candidature d'un Hohenzollern au trône d'Espagne étant soutenue par Guillaume II et contestée par Paris.
Le 13 juillet, une dépêche du roi de Prusse avait conduit Napoléon III à déclarer la guerre à la Prusse, pour la plus grande satisfaction du chancelier Bismarck, partisan d'un conflit qui lui permettrait, peut-être, de parachever l'unité allemande.
Entre le 30 août et le 2 septembre, l'armée française avait essuyé des revers avant de perdre la bataille de Sedan. Cette défaite sonnait le glas du second Empire. Napoléon III, déchu, avait envoyé son épée au roi de Prusse. Deux semaines plus tard, alors que les Prussiens se préparaient à assiéger Paris, un gouvernement d'union nationale avait proclamé la république, troisième du nom. Quand les journaux américains annoncèrent ce changement de régime en France, Charles, prêt à pavoiser, vit arriver lord Simon à Valmy.
– Alors, mon ami, vous êtes content ! Ce Badinguet, que vous détestez, a été évincé, et la république, que vous appeliez de vos vœux, instaurée à Paris, dit-il.
– Je trouve, en effet, que c'est un bon changement pour mon pays.
– Ah ! Ah ! Je me demande si cela ne va pas bouleverser vos projets. Républicain convaincu comme vous l'êtes, ne serez-vous pas tenté, en conduisant Pacal en France, d'y rester ? Hein ? demanda lord Simon.
Son froncement de sourcils traduisait une inquiétude, mais aussi une vague mise en garde. « Ne vous avisez pas d'agir ainsi », signifiait le regard pénétrant du lord.
Charles avait prévu cet affrontement prématuré. Il ne s'y déroba pas.
– Il y a dix-sept ans, je me suis exilé, à la sortie de l'école des Ponts et Chaussées, pour ne pas servir dans l'administration d'un tyran en puissance. Mais, demain, je n'aurais pas d'objection politique à mettre mes compétences au service d'un gouvernement républicain, si c'est ce que vous craignez !
Depuis son arrivée, en 1853, Charles n'avait reçu que les éclaboussures des colères jupitériennes du maître de Soledad. Sa réflexion, laissant prévoir un possible départ, le projeta dans l'œil du cyclone. Lord Simon quitta si brutalement le fauteuil qu'il occupait que le siège bascula, à grand bruit, sur le plancher.
– God'dam ! Seriez-vous aussi ingrat que Tilloy et d'autres qui m'ont quitté ? Je vous ai donné l'occasion de prouver vos talents d'ingénieur, je ne vous ai rien refusé. Je suis même prêt à dépenser beaucoup pour vous permettre de bâtir un phare sur Buena Vista. Et puis, par saint George, je vous ai donné ma fille, et vous...
– Je vous rappelle que je vous ai restitué une fille longtemps ignorée volontairement, interrompit rudement Charles en relevant le siège renversé.
Peut-être était-ce la première fois qu'un homme se permettait de tenir tête à lord Simon en opposant, à une évocation accommodante des faits, leur flagrante vérité.
La réaction de Charles ne fit qu'augmenter le courroux de Simon Leonard, qui se préparait à quitter la véranda à pas saccadés, en soufflant tel une bourrasque, quand Charles le retint.
– Je ne prendrai pas de décision avant l'an prochain, lord Simon. Sachez que je reste attaché par bien des liens à Soledad, que ma gratitude vous est acquise et que j'ai pour vous une affection filiale. Autant de considérations dont il sera tenu compte, déclara Desteyrac d'un ton conciliant.
– Si le vieil Anglais monarchiste que je suis l'emportait sur la république, ce serait mon Waterloo ! lança Simon Leonard en se mettant en selle avec l'impétuosité d'un hussard qui court à la bataille.
Par un accord tacite informulé, il ne fut plus question, au cours des mois suivants, du départ de Charles, et quand Malcolm Murray annonça, un soir, à Cornfield Manor, qu'il se préparait à livrer, en janvier 1871, une nouvelle cargaison d'armes aux
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