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Retour à Soledad

Retour à Soledad

Titel: Retour à Soledad Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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les naufragés de la mer, mais pour piller l'épave. Certains allument des lanternes que les capitaines prennent pour feux de signalisation, ce qui les conduit à jeter leur bateau sur les brisants et les hauts-fonds... où ils sont attendus !
     
    – Vous voulez dire qu'il y aurait chez moi des naufrageurs ?
     
    – Peut-être ne sont-ils, comme ailleurs, que pilleurs d'épaves ? Peut-être ne vont-ils pas jusqu'à guider les vaisseaux vers les brisants, comme d'autres le font, paraît-il, sur les Bimini Islands ? Cependant, j'ai vu, dans plusieurs cases de l'île, de la vaisselle et des couverts au chiffre de compagnies maritimes dont les navires se sont perdus dans les parages, lors de l'ouragan de 1866. Et j'ai trouvé, il y a deux ans, Pacal en possession d'une ceinture et d'une boîte à gants ramassées par les petits-fils de Maoti-Mata au cours de leurs escapades, révéla Charles.
     
    Silvana, la plus jeune fille de Ma Mae, venant aux ordres pour le dîner, interrompit la conversation. Lamia secoua sa crinière, dicta le menu et congédia l'aide-cuisinière. L'intermède offrit à Charles l'opportunité de parfaire sa démonstration. Il se pencha vers son hôtesse.
     
    » Croyez-vous, Lamia, que la robe de soie à ramages que porte aujourd'hui Silvana ait été confectionnée sur l'île ? ou même à Nassau ? Je gage qu'elle vient de Boston, de Charleston, de Londres ou de Paris. Nous pourrions lui demander où elle l'a acquise, risqua-t-il, ironique.
     
    – Un coquin, qui tourne autour d'elle, lui en a fait cadeau, dit-elle.
     
    – Un marin, sans doute, compléta Charles.
     
    Trop avisée pour nier l'existence d'une pratique ancestrale qui ne choquait que les étrangers, Lamia se rendit.
     
    – Voyez-vous, Charles, je dois compter avec nos traditions et les mœurs de mes gens. Or, depuis que des navires sillonnent l'archipel, les indigènes de toutes les époques ont tiré bénéfice des naufrages. Mais je vous assure que mes Arawak n'allument pas de feux trompeurs, les jours de tempête. Ils savent trop comment je les punirais s'ils agissaient ainsi.
     
    – Alors, ce sont les djinns naufrageurs que dénoncent Timbo ! rétorqua Charles en riant.
     
    Après une hésitation, Lamia avoua :
     
    – Je reconnais qu'à la saison des ouragans, mes gens guettent et attendent...
     
    – Dites qu'ils espèrent !
     
    – ... que l'océan leur fasse don de denrées, de vêtements, d'objets qu'on ne trouve pas dans les îles, qu'ils ne pourraient s'offrir et dont, parfois, ils ne connaissent pas l'usage, précisa Fish Lady, ignorant l'interruption.
     
    – J'ai entendu des pêcheurs dire : « Nous vivons de la mer, avec poisson, éponges, coquillages, crustacés et coraux ; donc tout ce qu'elle apporte nous appartient », rapporta Charles.
     
    – Que voulez-vous, ce sont des gens frustes. Il y a moins d'un siècle, ils se peignaient encore le visage et pêchaient au javelot. Leur conception de la vie et de la morale est différente de la nôtre, rappela Lamia.
     
    Elle n'avait pas oublié la réaction première de Charles, quand il avait été invité, au commencement de son séjour, à déflorer la jeune Wyanie.
     
    – Je reproche à vos gens de penser, d'abord, au pillage de l'épave pendant que des passagers, abandonnés à leur sort, se noient. Votre frère m'a dit qu'autrefois les naufrageurs n'hésitaient pas à noyer, eux-mêmes, ceux et celles qui auraient eu une chance de s'en tirer, parce que les insulaires redoutaient un afflux imprévu de population sur leurs îles ! Je pense qu'ils se souciaient surtout d'éliminer les témoins de leurs rapines et de leur barbarie, compléta Desteyrac, soudain moins conciliant.
     
    – De nos jours, les choses ne se passent plus ainsi. J'ai moi-même recueilli et hébergé des naufragés que mes gens avaient arrachés à la fureur des vagues, parfois au péril de leur vie. Dire qu'ils ont restitué objets et vêtements serait mentir. Ils conservent ces biens comme salaire.
     
    – C'est là un point de vue qui ne semble pas exclusivement bahamien, concéda Desteyrac.
     
    – Tiens ! Il existerait donc des naufrageurs ailleurs que dans notre archipel ? Voilà qui me console, persifla-t-elle.
     
    – Certains Américains du continent semblent avoir une semblable conception des rapports humains. En février 1846, quand le John Minturn fit naufrage au large de Squam Beach, sur la côte du New Jersey, les

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