Retour à Soledad
révolutionnaires cubains, lord Simon trouva de quoi nourrir l'exaspération dans laquelle l'entretenait malgré lui son gendre.
– Vous êtes insensé ! Ces Cubains sont peut-être courageux, mais insolvables, pesta Simon.
– Depuis 1868, les amis du mari de Varina, un moment triomphants, ont échoué comme tous les rebelles qui les avaient précédés, fit remarquer Charles à Murray.
– Même si les Espagnols, aidés par trente mille contre-révolutionnaires bien payés, ont repris Bayamo et contraint les fondateurs du mouvement Cuba Libre à se disperser avant de conduire dans l'île une répression barbare, les patriotes cubains ne désarment pas. Les Espagnols assassinent, emprisonnent, brûlent des villages et regroupent dans des camps les femmes et enfants des insurgés qui se cachent dans la manigua 4 . Mais les rebelles, qu'on appelle là-bas les mambis 5 , se réclament toujours de Cuba Libre et se déclarent maintenant indépendantistes radicaux, prêts à de nouveaux combats. Je vais donc leur porter des armes et des munitions. S'ils n'ont pas d'argent pour les payer, cette fois, je leur en ferai cadeau, dit l'architecte avec un regard de biais à lord Simon.
Comme lors de sa précédente expédition, il remit à Charles les clefs de son cabinet de curiosités et prit le large en janvier, dès la fin de la saison des tempêtes, alors que les journaux annonçaient la création de l'Empire d'Allemagne. Dans le même temps, une lettre de Mme de Saint Forin, envoyée « par ballon, de Paris assiégé, jusqu'au Havre », révélait la tragédie de la défaite française. La vieille dame expliquait comment elle soignait les blessés hébergés par les Petites Sœurs des pauvres, et déplorait que des gens du peuple, affamés, en fussent réduits à manger les chats !
Lewis Colson venu, comme souvent, partager le dîner de Charles Desteyrac, raconta ce qu'il avait appris d'un marin revenu de La Havane.
– Malcolm Murray n'est pas le seul à vouloir aider les Cubains à conquérir leur indépendance. Le Caroline , un vapeur fluvial américain, parti de Floride avec deux cent cinquante hommes armés à bord pour soutenir la rébellion cubaine, a fait escale à Ragged Island après l'échec de l'expédition. Embarqués sans solde, les aventuriers devaient se payer en butin espagnol. Ils comptaient s'emparer de l'or et des espèces collectées par la douane. Mais, débarqués à Cárdenas, ils découvrirent que les Cubains, qui auraient dû, avant leur arrivée, couper les fils du télégraphe et démanteler la voie ferrée, n'en n'avaient rien fait. Attaqués par des cuirassiers espagnols arrivés en train, les Américains ont laissé deux morts devant la douane de Cárdenas. Les mains vides, les survivants ont rembarqué en emportant de nombreux blessés. Il faut savoir que tous les Cubains ne soutiennent pas les rebelles. Une bonne partie de la bourgeoisie créole ne souhaite pas la rupture avec l'Espagne. Pourquoi diable Malcolm est-il allé se mêler d'une révolution qui n'a, pour le moment, aucune chance de réussir ? conclut l'officier.
– Sous ses dehors frivoles, Malcolm est un cœur généreux, épris de justice et de liberté. Aristocrate britannique, fils et gendre de lords, il se croit à l'abri des représailles espagnoles. Je crains qu'il ne se trompe. Dans sa dernière lettre, il se disait grisé par le risque et enchanté de la vie qu'il mène en compagnie des mambis , dit Charles.
Rares étaient les bateaux étrangers qui se présentaient, par beau temps, devant le port oriental de Soledad. Ils étaient toujours bien accueillis les jours de tempête, quand leur capitaine se trouvait dans l'obligation de débarquer un malade ou un blessé, de s'approvisionner en eau douce, en légumes et fruits frais. Ainsi jouait la parfaite solidarité des gens de mer. En revanche, les consignes de lord Simon étaient formelles : personne ne pouvait séjourner sur l'île plus de vingt-quatre heures sans autorisation.
Un matin de mars 1871, un vapeur de commerce, battant pavillon américain et d'assez fort tonnage, mit en panne dans la baie. Il demanda, par signaux au sémaphore, l'envoi d'une chaloupe afin de livrer un pli urgent, confié au capitaine lors d'une escale à La Havane.
Le commandant du port engagea deux débardeurs qui, à force d'avirons, le conduisirent au navire. Penché au bastingage, le capitaine lui tendit une lettre en
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