Retour à Soledad
précisant : « À remettre le plus tôt possible à lord Simon Leonard Cornfield. »
Le vapeur américain s'étant détourné de sa route pour livrer ce courrier, le commandant du port fit aussitôt porter un tonnelet de rhum à l'équipage et un gallon de whisky aux officiers. Salué par le sémaphore, le navire reprit sa route. Il n'était qu'à quelques encâblures en mer quand lord Simon ouvrit la lettre qui lui était destinée. Sa lecture terminée, il poussa un profond soupir, releva les pointes de sa moustache, signe de contrariété, et sonna Pibia.
– Trouve lady Ottilia et prie-la de venir, toutes affaires cessantes, à Cornfield Manor. Ensuite, tu essaieras de trouver Charles Desteyrac et Lewis Colson. Tu leur diras que j'aimerais les voir ici ce soir, ordonna Simon.
Le message qui motivait ces convocations émanait de Varina. L'épouse du planteur cubain révélait que sir Malcolm Murray avait été blessé, au cours d'un affrontement entre rebelles et troupe espagnole. Sa vie ne paraissait pas en danger, mais il convenait de le soustraire aux autorités, qui le recherchaient comme agitateur étranger ayant incité les paysans à la révolte en leur fournissant des fusils.
Quand Ottilia apparut au manoir, son père lui tendit la lettre et attendit qu'elle eût pris connaissance de son contenu.
– Il faut aller le chercher, père, sinon les Espagnols vont le pendre ou le fusiller, dit-elle, pratique, sans marquer d'émotion.
– J'attends Colson et Charles. Nous déciderons ce qu'il y a lieu de faire pour tirer cet imbécile du guêpier où il s'est fourré, grommela Simon Leonard.
L'ingénieur et le marin se présentèrent à l'heure du punch et furent aussitôt mis au courant du sort de Murray.
– Il faut aller le chercher, répéta Charles, approuvé par Lewis Colson.
– L' Arawak est-il prêt à prendre la mer ? demanda lord Simon.
– Il l'est, mais mieux vaut utiliser le Centaur , solide marcheur qui, ne faisant pas de fumée, permet des approches plus discrètes, répondit Lewis.
– Mais il est moins rapide que le vapeur, fit remarquer lord Simon.
– Autre avantage, le capitaine du Centaur , Philip Rodney, connaît mieux que moi les atterrissages de Cuba. Nous prendrons avec nous Uncle Dave, Tom O'Graney et ses charpentiers, décréta le commandant Colson.
Au jour prévu pour le départ du voilier, Pacal supplia son père de lui permettre d'embarquer avec lui. Après réflexion, l'autorisation fut accordée. Charles ne mit qu'une seule et prudente condition : son fils ne descendrait pas à terre à Cuba et attendrait à bord, sous la surveillance de Philip Rodney. Enthousiaste, mais ayant conscience qu'il ne s'agissait plus d'un jeu, le garçon, à qui Lewis Colson offrit un caban de marin, grimpa en courant l'échelle de coupée.
Par beau temps, la navigation fut aisée et, moins de soixante heures après avoir quitté Soledad, le Centaur fut en vue de la grande île. Philip Rodney choisit de mouiller à Varadero, petite ville entre Matanzas et Cárdenas. L'Union Jack flottant à la poupe suffit à faire admettre le navire. Lewis Colson, qui parlait espagnol, expliqua aux fonctionnaires de la douane qu'il venait acheter du sucre pour un grossiste des Bahamas. Après avoir loué des mules, Colson et Charles, suivis de Tom O'Graney et de ses charpentiers entassés sur une charrette propre à transporter des boucauts de sucre, rejoignirent le domaine de don Elíseo García Padilla, époux de Varina. Bien qu'il fût connu pour avoir été l'un des fondateurs de Cuba Libre, les autorités cubaines n'osaient s'attaquer à ce riche sucrier de qui on savait les relations à la cour d'Amédée de Savoie, roi d'Espagne depuis décembre 1870.
– Je suis étroitement surveillé par les espions au service de l'armée espagnole, mais on me laisse librement traiter mes affaires, expliqua-t-il aux Bahamiens.
– Où se trouve sir Malcolm Murray ? demanda Charles, pressé d'en finir.
– Nous avons caché sir Malcolm dans un village proche d'ici, où réside un ami médecin réputé hostile à la révolution. Mais il vaut mieux attendre la nuit pour vous y rendre. Sir Malcolm a reçu deux balles : une dans l'épaule, l'autre au flanc droit. Les balles ont été extraites, mais le médecin craint que le foie n'ait été éraflé par l'une d'elles, précisa don Elíseo.
Après le dîner, Desteyrac et
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