Retour à Soledad
éléments avant qu'on ne livrât, au cours d'un autre voyage, locomotive, voiture et wagons.
Sitôt qu'instruit, lord Simon convoqua Mark Tilloy.
– L' Arawak sera, je pense, de nos bateaux, le meilleur remorqueur de barges. Je souhaite, mon cher Mark, sans rien enlever à vos prérogatives de commandant du vapeur, que Lewis Colson soit du voyage. Il dit le remorquage une opération délicate : son expérience du transport sur barge des éléments du pont de Buena Vista pourra se révéler fort utile. O'Graney vous accompagnera. Comme je l'ai déjà dit à Lewis Colson, en cas de gros temps, ne vous mettez pas en danger. Mieux vaut perdre une barge et son chargement qu'une vie humaine.
Pour avoir servi sur le Phoenix comme premier lieutenant sous les ordres du commandant Colson, Tilloy connaissait assez le tact du marin pour ne pas se formaliser d'une présence imposée par lord Simon. Mark devait à Lewis Colson de savoir tout ce qu'il n'avait pas appris dans la Royal Navy.
Lord de l'appareillage de l' Arawak , Colson ne sortit pas de sa cabine. Quand Soledad fut hors de vue, invité par Tilloy à découvrir la dunette du vapeur, il sut mettre son cadet à l'aise.
– Capitaine, je suis à bord comme passager heureux de naviguer avec vous, dit-il.
– Me permettrez-vous cependant de faire, à l'occasion, appel à vos conseils ?
– Seul un familier des machines à vapeur sait ce qu'il peut demander à un tel navire. Ici, je suis votre élève, mon cher Tilloy, et mon seul conseil ne pourrait être que de conserver sur ce bateau l'humilité du marin dans ses rapports avec l'océan. Mais cette vertu maritime, n'est-ce pas, vous la pratiquez depuis longtemps ? répondit Colson.
Tandis que l' Arawak voguait, par temps favorable à la vitesse de quatorze nœuds, vers les côtes dangereuses de la Caroline du Nord, Charles, alors désœuvré, proposa à lady Lamia une exploitation nouvelle des conques, coquillages très appréciés des insulaires.
– Les coquilles des conques consommées, à part celles que les marchands de paniers et de chapeaux de paille de Nassau vernissent et vendent à des voyageurs amateurs de souvenirs exotiques, sont broyées par milliers pour faire de la chaux, ou jetées aux ordures, commença Desteyrac.
– À Buena Vista, nous en faisons des remblais, ajouta Fish Lady, intriguée par la banalité de la constatation.
– Eh bien, chère Lamia, de nos conques on peut faire des camées.
– Des bijoux avec ces coquilles ?
– Un ami français, le peintre Lucien Grandioux, qui signe Diou des tableaux cotés dans toutes les galeries européennes, m'a écrit que la mode, en France et en Italie, est maintenant aux imitations de camées antiques, gravés sur coquille. Or la plus belle conque bahamienne, que vous appelez queen conch et à qui Ounca Lou donne son nom scientifique, strombus gigas , est non seulement la meilleure au goût, mais la plus prisée des graveurs de camées, dit Charles.
– En voilà une trouvaille ! Vous m'étonnez, reconnut Lamia.
– Certaines parties de la coquille sont assez épaisses, formées de couches de différentes couleurs, du jaune au blanc nacré en passant par le rose, donc propres à la gravure en relief. D'après mon ami, cela permet une bonne imitation des camées antiques. Diou connaît à Paris un graveur habile, ancien élève du fameux médaillier Romain Jeuffroy 7 , qui produit de superbes camées vendus dans les bijouteries. Il me demande de lui envoyer des coquilles, car les graveurs de camées, en France et en Italie, sont prêts à les payer un bon prix, étant donné la vogue de ce genre de bijoux à travers toute l'Europe, compléta Charles.
– Qu'allez-vous faire ?
– Plutôt : qu'allons-nous faire ? Car je veux vous associer à l'entreprise.
– Charles ! Vous parlez comme Simon qui fait argent de tout, dit lady Lamia.
– L'argent n'a de valeur que par l'usage qu'on en fait. De la vente des coquilles, déchets de nos repas, nous ferons bon usage. J'ai mon idée là-dessus, dit Charles, sibyllin.
– Bien. Qu'attendez-vous de moi en tant qu'associée ?
– Vous allez organiser avec vos gens le ramassage des coquilles vidées 8 . Nous les ferons nettoyer et nous enverrons les plus belles en France à mon ami, le peintre Diou. S'il les place avantageusement, nous ferons des envois réguliers à tous ceux qui
Weitere Kostenlose Bücher