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Retour à Soledad

Retour à Soledad

Titel: Retour à Soledad Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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sombré en vue du port, le 20 mai 1851. Depuis cette tentative avortée, les progrès de la construction navale avaient rendu les paquebots à vapeur – coque doublée de cuivre et puissantes machines – plus sûrs et plus rapides.
     
    Sir Samuel Cunard, fait baronet par la reine et devenu milliardaire à cinquante ans, heureux père de sept filles et deux garçons, inspirait confiance. Ses navires, moins confortables que ceux de Collins, son concurrent malheureux, effectuaient plus de cinquante traversées de l'Atlantique chaque année. Son premier paquebot à vapeur, le Britannia , avait relié, en juillet 1840, Liverpool à Halifax en douze jours et dix heures. En ce temps-là, les vapeurs à roues inspiraient encore de la méfiance et le navire n'avait embarqué en Angleterre qu'une soixantaine de passagers alors qu'il aurait pu en transporter le double. Depuis cette époque, sir Samuel Cunard n'avait plus connu que des succès. À Nassau, on le disait propriétaire d'une centaine de navires, et la General Assembly n'avait pas hésité à lui assurer une subvention annuelle de mille dollars pour voir les navires de la Cunard Line effectuer, sur la route de Cuba, une escale à Nassau.
     
    L'afflux d'étrangers aux Bahamas, qu'on se garderait d'attirer à Soledad, promettait des profits aux pêcheurs de conques et de mérous, aux producteurs d'ananas, tomates, primeurs, fruits, éponges et écaille de tortue, dont marchés et boutiques de Nassau feraient grande consommation. Quant aux détenteurs de capitaux comme Cornfield, ils allaient investir dans la navigation entre les îles, le commerce ou l'hôtellerie, et encaisser des bénéfices.
     
    Le maître de Soledad, qui avait appris dès la fin 1859 que le gouvernement bahamien allait émettre un emprunt pour financer la construction du Royal Victoria, dépêcha Malcolm Murray à Nassau avec mission de s'informer de la consistance du projet et, surtout, du sérieux des promoteurs.
     
    C'est à bord de l' Arawak – dûment baptisé au champagne par Ounca Lou, quelques semaines plus tôt, en présence de nombreux insulaires, avec les bénédictions conjointes du pasteur Russell, du père Taval, de Maoti-Mata et aux accents du God Save the Queen  – que Malcolm Murray arriva dans la capitale des Bahamas.
     
    Dans l'avant-port, le vapeur de Cornfield fit sensation et des notables voulurent aussitôt visiter ce navire blanc, racé, bien campé sur ses roues à aubes, pourvu d'une cheminée bleue inattendue et dont une tête d'Arawak surmontait l'étrave festonnée d'or. Due au ciseau inspiré d'un cousin de Maoti-Mata, artiste expert en totems, cette figure de proue était un cadeau du cacique. Sculpté dans du bois de gaïac, traits peints de couleurs vives, cheveux noirs nattés sur les oreilles, l'Indien dardait sur l'horizon le regard de ses yeux de nacre emprunté à un coquillage. D'après les vieux marins, ce vapeur ne pouvait qu'être protégé par Neptune, puisque sa marraine avait éternué après le bris de la bouteille de champagne sur la coque de fer. Même si l'éternuement était dû au pétillement du vin, les marins n'en restaient pas moins confiants dans leur superstition.
     
    Dès son arrivée, Murray se rendit sur le site du futur hôtel, un terrain acheté par le gouvernement à Timothy Darling – un nom qui lui rappelait Grace, son amour d'adolescence –, riche négociant installé sur Bay Street, l'artère principale de Nassau. Se faisant connaître des bâtisseurs, il eut accès aux plans et les entrepreneurs locaux, flattés que que le lord des Bahamas s'intéressât à leur entreprise, sollicitèrent les conseils de l'honorable Malcolm Cuthbert Murray, neveu et gendre de lord Simon, habitué des meilleurs hôtels d'Europe et architecte du nouvel hôpital de Soledad, modèle du genre dans l'archipel.
     
    De retour à Cornfield Manor, Murray ne modéra pas son enthousiasme.
     
    – Si j'en juge par les plans et dessins, ce sera, au milieu d'un parc, un véritable palace, anglais de conception mais adapté au climat et au style des bâtiments publics voisins, comme the House of Assembly et the Supreme Court 5 , qui font honneur à Nassau. Le seul voisinage un peu regrettable, mais qui amuse le regard, est celui de la prison. Elle ressemble à un gros gâteau d'anniversaire coiffé d'une galerie en sucre filé, elle-même surmontée d'une moitié d'orange 6 .
     
    – Je puis donc souscrire à l'emprunt sans crainte,

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