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Retour à Soledad

Retour à Soledad

Titel: Retour à Soledad Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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grondantes frangées d'écume phosphorescente. La lune et les étoiles, attributs romantiques des nuits tropicales, avaient disparu derrière un écran de nuages.
     
    – Nous pourrions avoir cette nuit un orage, peut-être un ouragan tardif, dit Charles après avoir constaté l'absence de Murray et de sa cavalière dans la loggia.
     
    Face à la nuit, accoudés côte à côte à la balustrade, ils se sentirent l'un et l'autre protégés par la demi-obscurité propice aux confidences. Le profil d'Ottilia se découpait, tel une ombre chinoise, en lignes pures sur la pâleur crémeuse d'un mur éclairé par les reflets de la salle de bal. Seul le scintillement, sous les anglaises, du diamant d'une boucle d'oreille donnait vie à une effigie de chair qui eût inspiré les graveurs de médailles du Quattrocento. Les yeux au ciel, Ottilia, jusque-là pensive, soudain s'épancha.
     
    – Vous devez me prendre pour gourgandine, indécente enjôleuse, allumeuse, dites-vous à Paris. Je ne sais pourquoi je suis ainsi, par moments.
     
    – Moi, Otti, je le sais, dit Charles.
     
    – Ne me méprisez-vous pas un peu ? Que pensez-vous ? Dites-le ! Vous êtes mon seul ami. J'ai besoin de savoir. Rappelez-vous, l'an dernier, lors d'un dîner chez moi, à Exile House, alors que nous abordions à voix basse le délicat sujet d'une certaine malformation physique et des comportements qui en découlent, vous m'avez dit : « Ce n'est pas la réunion idéale pour ce genre de conversation. Mais j'aimerais la reprendre un jour plus sérieusement, loin des oreilles indiscrètes ! » Depuis, nous n'avons pas eu d'aparté sérieux.
     
    – Je m'en souviens. Mais, ce soir-là, j'aurais pu vous dire, comme maintenant, que je vous ai acceptée, que je vous accepte telle que vous êtes, Otti. Oui, tout tient dans ces mots. Et, telle que vous êtes, loin de vous mépriser, maintenant que je vous vois vivre, je vous admire, dit Charles.
     
    – Vous m'admirez ? C'est plaisant ! Pourquoi, mon Dieu ?
     
    – Parce que vous assumez au mieux la plus exceptionnelle et pire situation à laquelle une femme puisse être asservie par la nature : inspirer l'amour sans pouvoir s'y livrer corps et âme. D'où vos façons un peu perverses avec les hommes : faire comme si, jusqu'à la porte de la chambre, avant l'orgueilleuse dérobade que j'imagine décevante pour le partenaire et, pour vous, crucifiante.
     
    – Je ne veux pas être plainte par ceux et celles – à compter sur les doigts de la main – qui connaissent mon secret. Toute pitié, même de très intimes, m'offenserait. À vous seul j'ai avoué que j'aurais voulu vivre un amour passionné, dévastateur comme nos ouragans. Un amour transcendant, qui tienne lieu de tout et donne sens à ma vie !
     
    – Parce que vous imaginez que seule l'étreinte des amants transcende l'amour ? Vous vous trompez. Elle n'est pas tout l'amour, même si elle en reste la manifestation physiologique naturelle, banale, on peut même dire : animale. De la même façon que deux êtres peuvent s'étreindre sans s'aimer, ils peuvent aussi s'aimer sans s'étreindre. C'est ailleurs, Otti, qu'il faut chercher un sens à votre vie et la transcendance de ce que vous avez, malgré tout, le droit d'appeler l'amour, dit Charles.
     
    – Où les trouverais-je ? fit-elle, presque rageuse.
     
    – En vous. En vous seule. Jusqu'au jour où le destin vous offrira une épaule où poser votre tête en toute acceptation, par l'autre, à la fois de la femme que vous êtes et de celle que vous ne pouvez être. Le jour où vous ne craindrez plus votre propre désir, acheva Charles.
     
    – Merci, mon ami. Rentrons. Les autres vont s'étonner de notre absence. Ounca Lou la première, peut-être..., dit-elle, interrompant brusquement la conversation.
     
    – Que les autres s'étonnent s'il leur plaît, Otti. Ounca, elle, ne s'étonnera pas. Elle sait quels sont les sentiments que vous porte son ininflammable mari, répliqua Charles en riant.
     
    Entourant de son bras les épaules nues d'Ottilia, il lui posa sur la joue un baiser fraternel et s'étonna du goût salé d'une larme sur ses lèvres.
     
    – Allons, dit-il simplement en lui offrant son bras pour retourner au bal.
     

    Comme on le redoutait, l'ouragan s'invita alors que s'éteignaient les lampions de la fête. Bien qu'il manquât de force, comme ceux de fin de saison, et fût aussitôt rétrogradé par les Bahamiens au rang de gros

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