Retour à Soledad
révélant ainsi Nordiste bon teint.
– Vous pouvez peut-être espérer l'arrivée de riches planteurs fuyant le Sud, comme autrefois les loyalistes pour d'autres raisons, persifla Murray.
Lancey tira sur les pointes de son gilet de soie, lissa d'un geste efféminé les revers de son habit et se pencha vers l'architecte.
– Nous avons déjà deux familles de Savannah dont les maisons ont, paraît-il, été pillées par des nègres en colère. On voit que ce sont des gens habitués à être servis à toute heure. Quand ils commandent un thé ou le breakfast à nos garçons noirs en dehors des heures normales, ils croient sans doute avoir encore affaire à des esclaves corvéables à merci. J'ai dû – avec précaution, bien sûr, car ce sont de riches clients – leur expliquer qu'aux Bahamas les nègres sont censés avoir les mêmes droits que les Blancs.
– Droits dont on ne leur permet pas toujours d'user, hélas ! releva Murray.
L'Américain crut bon de changer de sujet et reprit sa description des charmes du Royal Victoria.
– Certaines denrées alimentaires, que nous ne trouvons pas à Nassau, arrivent de New York et sont conservées dans la glace. Chaque après-midi, un orchestre joue dans notre jardin où la bonne société de Nassau vient se prélasser, fumer, converser, jouer aux cartes, à l'ombre fraîche des palmiers, en dégustant des boissons variées. Le vendredi, vous le constaterez demain, on danse jusqu'au milieu de la nuit au son du Nassau Band, et nous comptons bien voir des chanteurs et des chanteuses du continent se produire au Victoria, comme cela se fait dans les grands hôtels de New York, dit l'homme en s'inclinant.
Bien qu'antiesclavagiste convaincu, Malcolm Murray avait trouvé déplacée la tirade d'un homme à qui s'imposaient, en territoire britannique, réserve et neutralité. Le goût de suie du whisky américain offert par Lancey aggravait sensiblement son irritation.
– Vous ne serez pas sans remarquer que vos clients sudistes, s'ils commandent à vos nègres comme aux leurs depuis plusieurs générations, ôtent leur chapeau devant les dames, savent se servir d'un couvert à poisson, ne nouent pas leur serviette sous le menton, ne frottent pas une allumette sur le fond de leur pantalon pour allumer un cigare, et ne crachent pas sur les bottines de leurs voisins, ce que j'ai vu faire à plusieurs de vos clients yankee ! lança-t-il d'un ton acide.
– Eux aussi, sir , transportent leurs habitudes en voyage. Dans tous les cas, nous ne pouvons que le regretter, répliqua l'homme avec humeur.
– Faites-nous conduire à nos appartements sans plus tarder, je vous prie, coupa Ottilia avec autorité tandis que son père reposait en grimaçant son verre de whisky.
– Juste bon à faire briller les cuivres, grommela-t-il.
Le lendemain, jour des festivités, le gouverneur, répondant à l'invitation de lord Simon, vint, accompagné de son épouse, dîner avec les visiteurs. On le convainquit, à la fin du repas, d'ouvrir le bal, et les couples se formèrent. Cornfield, bien qu'il détestât danser, sollicita, comme il se devait, l'honneur de faire valser la femme du gouverneur. John Maitland n'attendait que cet instant. Il invita Ottilia tandis que Charles entraînait Ounca Lou sur le parquet neuf du grand salon.
Les Desteyrac ne furent pas surpris de voir Murray enlever, avec l'autorité charmante qui lui valait tant de succès, l'épouse de l'administrateur de l'hôtel, une gentille Américaine rose et dodue de qui la chevelure blonde à boucles serrées rappelait la toison du mouton.
– Malcolm aurait dans l'idée de rendre notre hôte jaloux que je n'en serais pas étonnée ! murmura Ounca Lou.
L'architecte serrait déjà plus qu'il ne convenait sa cavalière et se penchait, l'œil avide, sur son décolleté.
Le mari, fort occupé, allant d'un groupe à l'autre, empressé auprès du consul des États-Unis, ne vit pas, après deux ou trois danses, Murray entraîner son épouse, rieuse et suspendue au bras de son cavalier, vers la pénombre de la loggia. En passant, Malcolm fit un clin d'œil à Charles.
– Puisque la nuit est claire, vous allez voir un spectacle unique sous les tropiques : les reflets d'or de la lune et des étoiles sur la mer, dit-il assez fort pour être entendu de ses amis.
– Elle va être dévorée par les moustiques, prédit Ounca
Weitere Kostenlose Bücher