Retour à Soledad
gouverneur. Une voiture attendait pour l'y conduire. Une telle convocation, à pareille heure, laissait augurer un événement grave et tous imaginèrent de gros dégâts causés par l'ouragan dans les îles situées au sud de l'archipel où le bateau-poste n'avait pu se rendre.
Jetant un regard circulaire, lord Simon constata que le seul homme encore présent était Desteyrac.
– Venez avec moi, Charles. Ce carton ne me dit rien de bon. À deux, on amortit mieux les coups du sort !
À peine les deux hommes se furent-ils éloignés qu'Ottilia prit un air entendu.
– Moi, je sais ce qui se passe, dit-elle, mutine.
– Mon Dieu, que se passe-t-il ? Dites-le-nous ! s'impatienta Ounca Lou.
Elle pensait à l'ouragan, à Pacal resté à Buena Vista chez lady Lamia.
– Eh bien, il se passe que nous allons sans doute avoir la guerre avec les États-Unis, lâcha-t-elle sans plus se faire prier.
– La guerre ! À cause du coton ? dit une dame anglaise.
– À la demande du gouverneur, le commandant Maitland est consigné depuis ce matin, avec tout son équipage, à bord de sa frégate dont on a fait allumer les chaudières. Mais il n'a pu m'en dire plus. Il faudra attendre le retour de mon père pour savoir, ajouta Otti, laissant ses compagnes à leur perplexité.
Sitôt entrés dans le hall du palais du gouvernement, lord Simon et Charles furent conduits dans un salon où les rejoignirent aussitôt un représentant de la General Assembly et le chef de cabinet du gouverneur. Ce dernier ne pouvait quitter son bureau, dans l'attente d'instructions expédiées par l'ambassadeur de Grande-Bretagne à Washington. La goélette qui les apportait, sans doute retardée par l'état de la mer, devait incessamment toucher Nassau.
– Je dois, Votre Seigneurie, vous faire part des derniers développements de ce qu'on appelle déjà, dans les chancelleries, l'« affaire du Trent ». L'événement que je suis autorisé à vous rapporter intéresse au premier chef notre archipel, puisqu'il s'est produit dans les eaux bahamiennes, entre Turks Islands et Cuba, commença l'homme d'un ton protocolaire.
– Le Trent n'est-il pas le paquebot du service régulier entre les Antilles et l'Angleterre ? Il fait parfois escale à Nassau. Aurait-il fait naufrage sous l'ouragan ? s'inquiéta Cornfield.
– Heureusement non, Votre Seigneurie. Mais l'affaire, qui n'a pas coûté de vies humaines, se trouve être, dans la conjoncture, peut-être plus lourde de conséquences qu'un naufrage. Le pavillon de Sa Très Gracieuse Majesté a subi un outrage inqualifiable, Votre Seigneurie ! déclama avec force le délégué du gouverneur.
– Cessez de me donner de la Seigneurie et, par saint George, dites ce que vous avez à dire ! s'impatienta lord Simon.
– Nous avons appris, par un courrier de notre ambassadeur à Washington, que le Trent , Votre Seigneurie, a été arraisonné le 8 novembre, dans les eaux bahamiennes, par un sloop, navire de guerre américain, le San Jacinto , commandé par un certain capitaine Charles Wilkes 2 . L'Américain a tiré un coup de semonce à la proue du Trent pour le forcer à s'arrêter en pleine mer, débita l'homme, rougissant d'indignation.
– Et pourquoi ce procédé de nos anciens pirates ?
– Parce que se trouvaient à bord du Trent deux émissaires, on peut même dire deux ambassadeurs envoyés par Jefferson Davis pour représenter, auprès des gouvernements français et britannique, la Confédération des États du Sud : James Mason 3 , de Virginie, et John Slidell 4 , de Louisiane. Ils avaient franchi le blocus, naviguant discrètement avec leur famille de Charleston à Nassau et, de là, à Cardenas, sur l'île de Cuba. Ils s'étaient ensuite rendus à La Havane pour embarquer sur le Trent à destination du Royaume-Uni. Le capitaine du San Jacinto , ayant appris cela par quelque espion, mais ne pouvant intervenir à Cuba, décida d'arraisonner le navire britannique dans Old Bahama Channel et de s'emparer des deux délégués confédérés. Avec un aplomb déconcertant, et sans tenir compte des protestations du commandant du Trent et de celles du représentant des Postes britanniques qui accompagne le courrier des West Indies, l'Américain émit la prétention d'arrêter et de transborder sur son sloop les envoyés sudistes, leurs femmes, leurs enfants et même leurs secrétaires. Au cours de
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