Retour à Soledad
commença :
– Mes amis, le blocus des ports de Savannah, Charleston, Wilmington, New Orleans et Mobile, par où est exporté depuis toujours, vers Liverpool, c'est-à-dire vers nos ateliers de Manchester et du Lancashire, le coton américain des États du Sud, aujourd'hui en guerre contre les États du Nord, risque de compromettre l'approvisionnement de nos filatures. Par le capitaine d'un bateau qui a franchi le blocus, mon cousin Bertie III m'a fait parvenir des nouvelles alarmantes. Les Nordistes ont coulé, fin janvier, quinze vieux bâtiments emplis de pierres dans l'entrée du port de Charleston. Les embarcations doivent maintenant louvoyer entre ces épaves pour gagner la haute mer où des navires fédéraux, armés de canon de 47, tentent de les intercepter. Si Wilmington n'était pas défendu par les canons de Fort Fisher, les Fédéraux auraient construit un pareil barrage. Nous voici donc confrontés à la menace d'une pénurie de coton, ce que nous redoutions. Et le blocus n'est pas le seul obstacle aux exportations. Les Confédérés auraient mis l'embargo sur les expéditions à destination de la Grande-Bretagne et de la France. Ils comptent ainsi sur le Roi-Coton, comme ils l'appellent, pour obliger les deux puissances à sortir de la neutralité, à reconnaître l'indépendance des États du Sud et à faire lever le blocus. Il est, de même, conseillé aux planteurs de brûler leur récolte plutôt que la voir tomber aux mains des Nordistes, qui en ont besoin pour faire fonctionner les filatures de Nouvelle-Angleterre. Car, malgré les combats – mon cousin Jeffrey me l'a confirmé dans une lettre de New York –, des planteurs sudistes seraient prêts à vendre très cher du coton à l'ennemi fédéral, par l'intermédiaire de contrebandiers. J'aimerais avoir d'abord le sentiment des marins, fit le lord.
D'un signe de tête, il donna la parole à Lewis Colson, le plus ancien dans le grade le plus élevé.
– D'après ce que m'ont rapporté des capitaines rencontrés à Nassau, si le blocus de Savannah, en Georgie, est bien réel depuis la perte par les Sudistes du fort Pulaski, ceux de Charleston et de Wilmington sont moins gênants. Des bateaux, assez rapides pour échapper aux navires de l'Union, vont et viennent entre Charleston et Nassau, entre Wilmington et les Bermudes. Quant à l'embargo sudiste, il n'est guère préoccupant. Il n'a pas été officiellement approuvé par Jefferson Davis. Les planteurs sudistes ont non seulement cessé tous échanges commerciaux avec le Nord, mais souhaitent continuer leurs livraisons de coton à l'Angleterre. En échange, il est vrai, d'armes, de munitions, de médicaments et de tout ce que le Sud n'a jamais produit, déclara l'officier.
Comme un écolier, Malcolm Murray leva la main pour demander la parole, ce que Cornfield accorda.
– Les ports de l'archipel peuvent devenir, comme les Bermudes ou La Havane, des lieux de troc neutres pour permettre l'envoi de coton à nos filatures de Manchester. J'ai mon idée là-dessus depuis que j'ai rencontré, à Nassau, Jean-Baptiste Laffite, qui représente aux Bahamas la firme John Fraser, Trenholm and Co., de Charleston et Liverpool. Cet homme m'a confirmé que plusieurs bateaux privés des Carolines ont déjà franchi le cordon des navires fédéraux pour apporter du coton à Nassau, d'où les balles, chargées sur des navires de commerce, sont parties vers Liverpool, révéla Malcolm Murray.
– Vous pourriez affréter des bateaux et en confier le commandement à des marins aventureux. Ce sont, pour la plupart, des Anglais qui exigent non seulement de fortes soldes pour eux et leur équipage, mais aussi des rafiots qu'ils puissent abandonner ou détruire. Poursuivis par les goélettes de l'Union, les premiers engagés dans ce dangereux commerce n'ont eu d'autre moyen d'échapper à la prise qu'en jetant leur bateau à la côte et, parfois, en y mettant le feu pour que leur cargaison ne tombe pas aux mains des marins fédéraux, rapporta Mark Tilloy.
Il avait lui aussi rencontré à Nassau les premiers forceurs de blocus.
– Nous pouvons aussi importer à Soledad des produits d'Angleterre : du thé, du café, des outils, des vêtements, des fusils, des munitions et même des clous pour les cercueils... On dit que les Sudistes en manquent ! ironisa Malcolm.
Sans tenir compte du regard réprobateur de Charles, irrité par la trivialité du propos,
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