Retour à Soledad
neveux, le duc de Chartres et le comte de Paris, ont débarqué en août 1861 aux États-Unis. Les deux derniers ont été intégrés, avec le grade de capitaines, comme aides de camp du général George Briton McClellan sous les noms de Robert d'Orléans et Louis-Philippe d'Orléans. Quant au prince de Joinville, après avoir accompagné son fils à l'Académie navale d'Annapolis, il a servi de conseiller à la marine fédérale et a même suggéré une opération qui a réussi. Le gouvernement britannique ayant fait savoir que le zèle de ce prince devenait intempestif, l'homme se montre maintenant plus discret. J'ai aussi appris que le général prince Camille de Polignac 2 sert chez les Sudistes, révéla Murray.
– Juste retour des choses, Malcolm : le général McClellan avait suivi la guerre de Crimée, précisa Charles au moment où Ounca Lou, Ottilia et les autres femmes se disaient prêtes à rentrer chez elles avec leur mari.
Même si chacun, sur l'île, vaquait à ses occupations et jouissait des charmes du printemps, toujours bref et précoce aux Bahamas, la guerre civile américaine restait présente dans les pensées et les conversations. À Cornfield Manor comme au Loyalists Club où parvenaient les journaux des États-Unis et d'Europe et où les officiers de marine de passage, ceux de la Royal Navy comme ceux du commerce, rapportaient événements vécus aussi bien que rumeurs, on suivait l'évolution du conflit. Les habitants de Soledad apprirent ainsi que le président de la Confédération des États du Sud, Jefferson Davis, avait été réélu à titre définitif le jour anniversaire de la naissance de George Washington et que, pour narguer les Nordistes, il avait prêté serment à Richmond, capitale des rebelles, devant la statue du héros de l'Indépendance américaine !
Chaque soir, avant de regagner Valmy, Charles Desteyrac faisait un détour par le club pour lire les journaux apportés par le bateau-poste ou des caboteurs, et pour entendre les derniers potins de Nassau. Il y retrouvait les habitués, ses amis, et les invités de passage.
Le 12 mars, quand fut publié à Soledad, comme dans toutes les îles habitées de l'archipel, un arrêté du gouverneur Charles John Bailey, les commentaires autour des verres de gin ou de whisky furent animés. Le représentant de Sa Très Gracieuse Majesté à Nassau ne faisait que répercuter les instructions reçues de Londres. Afin d'assurer la neutralité de la colonie, l'entrée des ports et même des baies de l'archipel des Bahamas était désormais interdite aux bateaux des belligérants, sauf, était-il précisé, « en cas de détresse, de voie d'eau ou de démâtage pouvant mettre des vies en danger ». La consigne fut naturellement interprétée au mieux des intérêts bahamiens.
– Cela, bien sûr, ne s'applique qu'aux bateaux de guerre, et non aux navires marchands, précisa le major Edward Carver.
– Est-ce admettre que les forceurs de blocus venus de Charleston ou de Wilmington peuvent circuler librement dans les eaux territoriales des Bahamas sans que le gouvernement de Washington puisse y trouver à redire ? demanda Charles.
– C'est bien ainsi qu'il faut l'entendre. Notre gouverneur et les membres de l' Assembly sont en train de découvrir les profits que procure au commerce, et même à la plus humble population, l'activité des blockade runners . Les affaires n'ont jamais été si florissantes et l'on se demande, certains jours, si les taverniers auront assez de bière, de rhum et de whisky pour abreuver les équipages, et même assez de tortues, de conches et de riz pour les nourrir. Je puis vous dire que, depuis quelques semaines, Nassau n'a jamais reçu autant de bateaux, révéla Philip Rodney.
Il était rentré, la veille, de la capitale où il avait livré éponges et écaille de tortues.
– Et cependant, Bailey a déjà appliqué les décisions de la Couronne. Il y a quelques jours, il a refusé l'entrée du port de Nassau au Flambeau , un navire de guerre de l'Union, dont le capitaine prétendait enquêter sur la nature des cargaisons des bateaux ayant échappé au blocus. Cette interdiction a fort irrité le consul des États-Unis à Nassau, qui a fait rapport à Washington. Charles Francis Adams, ambassadeur des États-Unis à Londres, informé par son gouvernement, s'est plaint à Palmerston, notre Premier ministre, en disant que Nassau allait devenir un
Weitere Kostenlose Bücher