Révolution française Tome 1
avaient gêné et contenu les émeutiers étaient sûrs d’être
poursuivis. »
Comme les paysans ne rencontrent jamais ces brigands, ces
troupes du comte d’Artois, ces aristocrates contre lesquels on s’était armé, on
attaque les demeures seigneuriales, les châteaux, les gentilhommières pour
devancer la réaction de ces « privilégiés ».
On assiège, on entre de force, on brise, on pille, on
incendie. On disperse et brûle les « terriers », ces documents qui
énumèrent les droits féodaux et seigneuriaux.
Plus d’impôts, de taxes ! Plus de privilèges !
On s’arroge le droit de chasser, interdit que depuis des
siècles les paysans, au risque de leur vie, tentaient de violer.
On chasse dans les forêts seigneuriales, et souvent on les
saccage. On chasse dans les blés, et on piétine les épis.
Dans les villes, on dévaste d’abord les hôtels de ville.
À Strasbourg, six cents va-nu-pieds ont envahi le bâtiment. Aussitôt
« c’est une pluie de volets, de fenêtres, de chaises, de tables, de sofas,
de livres, de papiers, puis une autre de tuiles, de planches, de balcons, de
pièces de charpente ».
On brûle les archives publiques, les lettres d’affranchissement,
les chartes de privilèges, dans les caves on défonce les tonneaux. Un étang de
vins réputés, de cinq pieds de profondeur, se forme ainsi où plusieurs pillards
se noient. Pendant trois jours la dévastation continue. Les soldats laissent
les émeutiers sortir chargés de butin. Les maisons de nombreux magistrats sont
saccagées du grenier à la cave.
Quand les bourgeois obtiennent des armes et rétablissent l’ordre,
on pend un des voleurs, mais on change tous les magistrats, on baisse le prix
du pain et de la viande.
Rien ne résiste à ces milliers d’hommes qui dans tout le
royaume sont poussés par « une grande peur », une soif de vengeance
et de révolte. Et qui, parce qu’ils ont pillé les arsenaux, disposent de dizaines
de milliers de fusils : en six mois, quatre cent mille armes seront
passées aux mains du peuple :
« Cet amour des armes est une épidémie du moment qu’il
faut, écrit un bourgeois breton, laisser s’atténuer. On veut croire aux
brigands et aux ennemis et il n’y a ni l’un ni l’autre. »
Mais c’est le temps des soupçons.
À Paris, à chaque pas dans la rue, « il faut décliner
son nom, déclarer sa profession, sa demeure et son vœu… On ne peut plus entrer
dans Paris ou en sortir sans être suspect de trahison ».
C’est le temps des violences et des vengeances. Meuniers et
marchands de grain sont pendus, décapités, massacrés.
Des patriotes, des hommes imprégnés de l’esprit des Lumières,
s’inquiètent.
Jacques Pierre Brissot, qui fut enfermé deux mois à la
Bastille en 1784 pour avoir écrit un pamphlet contre la reine, puis qui a gagné
les États-Unis en 1788 pour voir fonctionner un régime républicain et qui lance
un journal, Le Patriote français , écrit en août 1789 :
« Il existe une insubordination générale dans les
provinces, parce qu’elles ne sentent plus le frein du pouvoir exécutif. Quels
en étaient les ressorts ? Les intendants, les tribunaux, les soldats. Les
intendants ont disparu, les tribunaux sont muets, les soldats sont contre le
pouvoir exécutif et pour le peuple. La liberté n’est pas un aliment que tous
les estomacs puissent digérer sans préparation. »
Mirabeau, dans Le Courrier de Provence , ne peut
admettre comme certains le murmurent que « le despotisme valait mieux que
l’anarchie ».
C’est là, dit-il, un « principe faux, extravagant, détestable ».
Mais il ajoute :
« Qui ne le sait pas ? Le passage du mal au bien
est souvent plus terrible que le mal lui-même. L’insubordination du peuple
entraîne des excès affreux, en voulant adoucir ses maux il les augmente ; en
refusant de payer il s’appauvrit ; en suspendant ses travaux il prépare
une nouvelle famine. Tout cela est vrai, trivial même. »
Mais certains membres de l’Assemblée nationale sont amers, hostiles,
pessimistes pour l’avenir de la nation.
L’un dit qu’on vit depuis le 14 juillet sous le règne de la
terreur.
Un autre s’exclame : « Il n’y a plus de liberté, même
dans l’Assemblée nationale… La France se tait devant trente factieux. L’Assemblée
devient entre leurs mains un instrument passif qu’ils font servir à l’exécution
de leurs projets.
« Si on ne bâtit promptement une
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