Révolution française Tome 1
que l’autorité de la nation les ait
abrogées ou modifiées… Que toutes les redevances et prestations doivent être
payées comme par le passé, jusqu’à ce qu’il en ait été autrement ordonné par l’Assemblée. »
Louis lit et relit ce texte.
Il lui semble que le royaume aspire au retour à l’ordre et
au droit.
Et qu’il a, dans cette nouvelle période, d’élaboration de la
Constitution, de l’établissement de nouvelles règles et d’une Déclaration des
droits, souhaitées par les députés, une partie à jouer, des prérogatives à
défendre. Et il peut le faire avec succès. La Fayette et Mirabeau répètent qu’ils
sont respectueux du roi, qu’ils veulent préserver son autorité.
Ils font savoir, discrètement, qu’ils sont prêts à donner
des conseils au roi.
C’est le signe que les « patriotes » se divisent, que
des courants se dessinent, dans l’Assemblée.
Louis sait qu’il peut s’appuyer sur les monarchistes, fidèles
à la tradition, comme l’abbé Maury, ou dans la presse l’abbé Royou qui a créé
et rédigé le journal L’Ami du roi .
Il y a les monarchiens, Malouet et Mounier, ces anglomanes
qui souhaitent une monarchie à l’anglaise.
Mirabeau et La Fayette voudraient une monarchie nouvelle, à
inventer, qui emprunterait à l’esprit des Lumières sa philosophie, une sorte de
système américain mais présidé par un roi héréditaire.
Et puis il y a ces députés du tiers, que tente la République,
ce Robespierre qui commence à intervenir à l’Assemblée, et ces journalistes, Brissot
et son journal Le Patriote français, l’avocat Danton, ou ce Camille
Desmoulins et son journal Les Révolutions de France et de Brabant, qui
avec franchise dévoile ses mobiles : « À mes principes s’est joint le
plaisir de me mettre à ma place, de montrer ma force à ceux qui l’avaient
méprisée, de rabaisser à mon niveau ceux que la fortune avait placés au-dessus
de moi. Ma devise est celle des honnêtes gens : point de supérieur. »
Ceux-là, Louis n’ignore pas qu’ils sont des ennemis, mus par
l’ambition, les frustrations, le désir de revanche, et l’espoir d’une
révolution qui irait jusqu’au bout des principes de justice et d’égalité.
Et ceux-là lorsqu’ils parlent au Palais-Royal sont entendus,
parce qu’à Paris, le pain est rare.
Il faut se « lever au petit matin pour avoir un petit
morceau ». Il vaut quatre sous la livre et un ouvrier gagne entre trente
et quarante sous par jour.
Nombreux sont ceux qui chôment, parce que les étrangers, les
privilégiés ont quitté la ville – deux cent mille passeports délivrés entre le
14 juillet et le 10 septembre – et il n’y a plus d’emplois pour ceux qui les
servaient, fabriquaient vêtements, bijoux et meubles de prix.
On trouve parfois à manier la pioche, mais à vil prix, dans
les ateliers de charité.
« J’ai vu, dit Bailly, des merciers, des marchands, des
orfèvres, implorer d’y être employés à vingt sous par jour. »
Des cordonniers, des perruquiers sans emploi, des centaines
de domestiques sans maître, se retrouvent chaque jour, qui sur la place
Louis-XV, qui près du Louvre, d’autres au Palais-Royal.
Il y a aussi les déserteurs, qui arrivent à Paris par bandes.
On en compte en septembre 1789 près de seize mille.
Ces infortunés, ces assistés, ces affamés, ces indigents, applaudissent
quand Camille Desmoulins leur lance : « Je suis le procureur général
de la lanterne », et qu’il désigne les responsables, ces aristocrates, suspects
d’organiser un complot. Et s’il se trompe de têtes, peu importe !
« Nous sommes dans les ténèbres, dit-il. Il est bon que
les chiens aboient même les passants, pour que les voleurs ne soient pas à
craindre. »
Et Marat ajoute : « C’est le gouvernement qui
accapare les grains pour nous faire acheter au poids de l’or un pain qui nous
empoisonne. »
Le Palais-Royal, c’est à leurs yeux la véritable Assemblée
nationale.
C’est ici qu’on a sauvé la nation, les 12 et 13 juillet, et
non à Versailles où siège une Assemblée encombrée par « six cents députés
du clergé et de la noblesse ».
Ces députés-là savent pour la plupart que le peuple les
soupçonne, et que l’ordre ne peut être rétabli que si des concessions satisfont
ces hommes en armes que la Grande Peur a fait se lever depuis la mi-juillet.
Dans la nuit du 4 au 5 août, les nobles
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