Révolution française Tome 1
Constitution, cette
nation aimable, ce peuple sensible et loyal, deviendra une horde de cannibales
jusqu’à ce qu’elle ne soit plus qu’un vil troupeau d’esclaves. »
Mais comment résister à ces hommes dont certains, assure-t-on,
sont « animés » par une fureur qui surpasse celle des « Iroquois » ?
Ils s’emparent le 28 juillet de Foulon de Doué, qui a
soixante-quatorze ans. Les paysans l’ont débusqué, caché dans le fond d’une
glacière, dans un château à Viry. On lui a mis une botte de foin sur la tête – n’a-t-il
pas dit que le peuple s’il manquait de pain devrait manger de l’herbe ? –,
un collier de chardons au cou et de l’herbe plein la bouche.
On a arrêté son gendre, l’intendant Bertier de Sauvigny. On
les a, l’un puis l’autre, conduits à l’Hôtel de Ville.
Bailly et La Fayette ont supplié, pour que le jugement de
Foulon soit régulier, qu’on l’enferme dans la prison de l’Abbaye.
Un homme, « bien vêtu », s’écrie : « Qu’est-il
besoin de jugement pour un homme jugé depuis trente ans ? »
Le peuple hurle : « Point d’Abbaye, pendu, pendu, qu’il
descende. »
On l’arrache à la milice bourgeoise, on le pend, la corde
casse, on le pend de nouveau, puis on tranche sa tête, on la plante au sommet d’une
pique.
Bertier est massacré alors qu’il est à terre. Sa tête et son
cœur sont portés à l’Hôtel de Ville, et présentés à La Fayette qui, en signe de
protestation et de dégoût, démissionne, mais que les « électeurs »
supplient de rester à la tête de la milice bourgeoise.
Puis on rapporte le cœur et la tête au Palais-Royal. Et on
fait s’embrasser les deux têtes ensanglantées, celle du beau-père et celle du
gendre.
« Je me promène un peu sous les arcades du Palais-Royal,
en attendant ma voiture », raconte l’Américain Morris qui vient de « prendre
un dîner pour trois. Le prix du dîner est de quarante-huit francs, café et tout
compris.
« Tout à coup on amène en triomphe la tête et le corps
de Monsieur Foulon, la tête sur une pique, et le corps nu traîné par terre. Cette
horrible exhibition est ensuite promenée à travers les différentes rues. Son
crime est d’avoir accepté une place dans le ministère. Ces restes mutilés d’un
vieillard de soixante et dix ans sont montrés à son gendre, Bertier, intendant
de Paris, qui est lui-même et tué et coupé en morceaux. La populace promène ces
débris informes avec une joie sauvage. Grand Dieu ! Quel peuple ! »
À Versailles, Louis et Marie-Antoinette apprennent, glacés, ces
assassinats.
Que peuvent-ils devant cette vague de violence, de vengeance,
de révolte, mêlée d’espoir, qui déferle ?
Même un journaliste royaliste comme Rivarol semble s’incliner
devant la fatalité quand il écrit, dans son Journal politique et national :
« Que répondre à un peuple armé qui vous dit : “Je
suis le maître” ?
« Quand on a déplacé les pouvoirs ils tombent
nécessairement dans les dernières classes de la société puisque, au fond, c’est
là que réside dans toute sa plénitude la puissance exécutive. Tel est aujourd’hui
l’état de la France… »
D’autres s’indignent de ces commentaires. Et Barnave, le
député du Dauphiné, lance :
« On veut nous attendrir, Messieurs, en faveur du sang
répandu à Paris, ce sang était-il donc si pur ? »
Un journaliste patriote, Loustalot, va dans le même sens, quand
il écrit dans Les Révolutions de Paris :
« Je sens ô mes concitoyens combien ces scènes
révoltantes affligent votre âme. Comme vous j’en suis pénétré, mais songez
combien il est ignominieux de vivre et d’être esclave. »
Et Gracchus Babeuf, qui est commissaire à terriers et qui a
pu ainsi connaître l’état des privilèges, fait porter dans une lettre qu’il
écrit à sa femme, à la fin de juillet, la responsabilité de cette justice
cruelle rendue par le peuple aux « Maîtres ».
Ils ont usé des « supplices de tous genres : l’écartèlement,
la roue, les bûchers, le fouet, les gibets, les bourreaux multipliés partout
nous ont fait de si mauvaises mœurs !
« Les maîtres au lieu de nous policer nous ont rendus
barbares parce qu’ils le sont eux-mêmes.
« Ils récoltent et récolteront ce qu’ils ont semé car
tout cela, ma pauvre petite femme, aura des suites terribles : nous ne
sommes qu’au début. »
18
Louis lit ces
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