Révolution française Tome 2
d’Antraigues, pour ne pas juger que la cause que vous avez défendue
est perdue. Les peuples sont las de combattre pour des imbéciles et les soldats
pour des poltrons. La révolution est faite en Europe, il faut qu’elle ait son
cours. Voyez les armées des rois : les soldats sont bons, les officiers
mécontents et elles sont battues. »
Napoléon pousse les papiers vers d’Antraigues :
« Une nouvelle faction existe en France, dit-il. Je
veux l’anéantir. Il faut nous aider à cela et alors vous serez content de nous.
Tenez, signez ces papiers, je vous le conseille. »
Si d’Antraigues signe, Bonaparte disposera d’une arme
redoutable contre Pichegru et les royalistes.
Mais Bonaparte attend avant de l’offrir à Barras, dont il
connaît la détermination et l’habileté, le sens politique.
C’est à l’évidence Barras qui mène le jeu. C’est Barras qui
prend contact avec le général Hoche, commandant l’armée de Sambre-et-Meuse.
Hoche est nommé ministre de la Guerre, et autorisé, au
prétexte de la préparation d’un débarquement en Angleterre, à conduire quinze
mille hommes du Rhin à la Bretagne.
Ils passeront par Paris, violant les lois qui interdisent
aux troupes d’entrer dans la capitale.
« Nous sommes convenus avec le général Hoche, reconnaît
Barras, que son armée se prononcera. »
C’est-à-dire dispersera les royalistes.
Et en même temps, Barras veille à rassurer l’opinion modérée.
Il ne veut pas apparaître comme l’homme par qui la violence,
les journées révolutionnaires ensanglanteront de nouveau Paris.
Barras sait que le peuple est las, aspire à l’ordre, à la
paix civile. Les citoyens ne veulent le retour ni des « terroristes »,
ni des « anarchistes ».
Et le procès des babouvistes – des républicains montagnards
–, tous confondus dans la même appellation d’« anarchistes » qui se
tient devant la Haute Cour réunie à Vendôme, en ce printemps de l’an V, sert
Barras.
Il se montre ainsi partisan de l’ordre et des propriétés.
On compte soixante-cinq accusés.
Mais Drouet, l’ancien conventionnel Lindet et le général
Rossignol, tous montagnards, sont parmi les dix-huit contumaces.
Les accusés, dont Babeuf, Buonarroti, Darthé et les anciens
conventionnels Vadier et Amar, n’ont pas tous participé à la conspiration des
Égaux.
Mais le Directoire veut profiter de ce procès pour en finir
avec la « faction anarchiste ».
Le procès va durer trois mois – du 20 février au 26 mai 1797
(du 2 ventôse au 7 prairial an V).
Les débats sont violents.
Les accusés crient « Vive la République ! », proclament :
« Un seul sentiment nous anime, une même résolution
nous unit, il n’y a qu’un principe : celui de vivre et mourir libres, celui
de nous montrer libres de la Sainte Cause pour laquelle chacun de nous s’estime
heureux de souffrir. »
Ils entonnent des chants patriotiques et le public mêle sa
voix à celles des accusés.
On insulte le « traître » Grisel qui a dénoncé la
conspiration à Carnot : « Bois la ciguë, scélérat », lui
lance-t-on.
Du côté du tribunal, l’accusateur national Bailly est
impitoyable.
« La France est fatiguée d’avoir roulé de révolution en
révolution. Les anarchistes sont une faction de crime et de sang, dont le
triomphe aurait abouti à ensevelir la République sous les monceaux de cadavres,
dans les flots de sang et de larmes, dit-il… La France ne serait plus qu’un
désert affreux si la Convention, délivrée le 9 Thermidor, n’avait pas précipité
Robespierre et son abominable Commune dans le gouffre qu’ils avaient eux-mêmes
creusé. »
Dans la nuit du 26 au 27 mai, le verdict tombe : presque
tous les accusés sont acquittés – Buonarroti est l’un d’eux -mais Babeuf et
Darthé sont condamnés à mort.
« Aussitôt que le jugement est prononcé, Darthé crie :
“Vive la République !” Il s’est déjà percé le sein et le sang jaillit de
sa plaie, raconte L’Écho des hommes libres et vrais. Babeuf sans rien
dire imite son exemple et s’enfonce dans le corps un fil de métal aiguisé. Il
tombe mourant. Un sentiment d’admiration pour les suicidés et d’horreur pour
leurs bourreaux se répand dans toute l’assemblée. Une foule de citoyens de tous
âges et de tous sexes sort de la salle épouvantée, effrayée d’avoir soutenu la
présence des meurtriers du patriotisme. Une partie y est retenue par
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