Richelieu ou la quête d'Europe

ignorée et même dissimulée par Richelieu et par ses proches. Même Matthieu de Morgues, auteur des pamphlets les plus virulents contre Richelieu, tait l’anecdote et contribue involontairement à l’érection d’une tradition sans faille.
    À la cour, au même moment, renaissent les divisions. Le 5 janvier 1613, le chevalier de Guise assassine le baron de Lux, rue Saint-Honoré, pour se venger de la disgrâce infligée à son parti depuis quelques semaines. Puis les exigences de Condé retournent la situation en faveur du clan pro-espagnol. Le premier prince du sang réclame à la régente le château Trompette, à Bordeaux . La citadelle domine la capitale de son gouvernement. Marie de Médicis s’alarme et, en réaction, charge François de Bassompierre de reconquérir les Guise à sa cause. La reine mère accorde son pardon au chevalier meurtrier, qu’elle promet de faire lieutenant général du roi en Provence . Il est d’autant plus important pour elle de maintenir le calme à l’intérieur du royaume qu’à l’extérieur de graves événements menacent en Italie du nord.

    La région possède une valeur stratégique de premier plan dans l’espace européen du début de l’époque moderne. De nombreux acteurs occupent la scène : l’ Espagne en premier lieu, mais aussi l’ Autriche , la Ligue des Grisons, les Valtelins, la république de Venise , le duc de Savoie et le duc de Mantoue , souverain du Montferrat .
    Au cours des siècles précédents, l’ Espagne s’est rendue maîtresse de la Sicile , du royaume de Naples , du Milanais , de la Franche-Comté et des Pays-Bas du sud. L’étendue des possessions espagnoles confère une échelle continentale aux États dont héritent Philippe II puis Philippe III. Pour y maintenir son autorité, le roi catholique se trouve dans l’obligation d’y faire circuler des troupes dévouées. Ainsi s’est créée une route des Flandres allant d’ Italie jusqu’à la mer du Nord [11] .
    Le chemin emprunté par les troupes espagnoles, les redoutables tercios, est d’une importance capitale pour les Habsbourg de Madrid . Ces soldats d’élite espagnols, tant craints de leurs adversaires, et les fonds nécessaires à leur entretien, sont acheminés de Castille au port de Gênes , à bord de galères spécialement affrétées. Gênes est à l’époque une république placée sous la protection du roi catholique. Au fil des ans, l’ensemble du Milanais devient à son tour une véritable place d’armes. Par les Alpes, les tercios accèdent ensuite à la Franche-Comté , à la Lorraine et au Rhin pour remonter vers le nord. Le duc de Bavière , dont les possessions territoriales sont proches, est un des potentats locaux dont le roi catholique doit tenir compte, et dont la puissance pourrait nuire à l’influence et à la latitude espagnole dans la région. Surtout, les vallées et les cols alpins sont tenus par les républiques suisses. Entre le Milanais et le Tyrol s’ouvre, en particulier, un étroit passage, le long de l’Adda, la vallée de la Valteline . Le lieu est essentiel aux communications de l’ Espagne et de l’ Autriche . Les Espagnols ont même construit à l’entrée de la vallée, en territoire milanais, le fort de Fuentès pour contrôler le passage. Les Valtelins, catholiques, sont vassaux des Grisons, protestants.
    Par ailleurs, les rois de France entretiennent des rapports suivis avec ces Ligues grises, qui fournissent des mercenaires d’un grand courage et d’une endurance exceptionnelle. Depuis 1509 et le traité de Crémone (renouvelé à Coire en 1602), les Grisons réservent aux Français l’exclusivité du passage par leurs cols, tout en affirmant leur volonté d’imposer la réforme protestante à l’ Italie et à leur proche voisine, Venise . La république marchande est entourée par les possessions de la maison d’ Espagne et par celles de la maison d’ Autriche . La richesse des doges, de leur lagune, de leur port, attise les convoitises, tandis que leur libéralisme et leur administration politique provoquent les jalousies et la méfiance.
    En mars 1612, l’équilibre précaire qui régnait dans la région est rompu par la mort d’un autre protagoniste important, le duc de Mantoue , Vincent de Gonzague. Son fils, François, lui succède, mais succombe à son tour au mois de décembre. François de Gonzague laisse une veuve, Marguerite, fille du duc de Savoie , et une orpheline, Marie, âgée de quatre ans.