Ridicule
moqueries de Charlotte pour calmer ses alarmes.
Les deux hommes avaient passé une heure ensemble dans le cabinet de toilette, assis côte à côte devant la coiffeuse où étaient disposées les boîtes de cosmétiques. Charlotte lissait et poudrait les perruques avec soin.
— Trop de blanc jaunit les dents, dit le marquis en détaillant son protégé. À votre âge, il faut garder le naturel de la carnation.
Bellegarde tendit à Ponceludon une boîte de vermillon.
— Mais un peu de rouge aux pommettes rehausse le teint !
Le jeune homme, qui, comme la plupart des campagnards, ne s’était encore jamais poudré, y prenait le plaisir d’un petit enfant essayant les chaussures de son père.
— La comtesse est proche du roi, dit-on.
— Les sujets graves apportent du déplaisir et sont à bannir de vos propos, prévint Bellegarde que la remarque avait alarmé.
L’intrépidité de Ponceludon pouvait le pousser à brûler les étapes en importunant la comtesse avec des sollicitations.
— Je me tairai.
C’était concédé de mauvaise grâce, et Bellegarde constata que l’éducation courtisane du jeune ingénieur ne faisait que commencer.
— Formulez des saillies spirituelles, fines, promptes... et malveillantes. Alors, votre pays guérira de ses plaies !
Contemplant son visage poudré dans le miroir, le jeune ingénieur eut soudain une pensée pour la Dombes misérable, et la honte le gifla. Le marquis devina son trouble.
— Considérez votre visage comme une machine de théâtre. Apprenez à la manoeuvrer.
Bellegarde se lança dans une démonstration du jeu d’expressions qu’il obtenait par d’imperceptibles mouvements des commissures et des sourcils, mais le bruit des chevaux et des grelots mit fin aux acrobaties physionomiques du marquis.
Quand la voiture les déposa et qu’ils se furent engagés, à pied, dans la Grande Allée qui conduisait au perron de la demeure Blayac, Ponceludon marchait si vite que son compagnon eut peine à le suivre.
— Vous êtes bien impatient de livrer combat ! lança le marquis. J’ai fréquenté les champs de bataille avant les salons, et j’ai pu y observer que les jeunes officiers offrent le plus gros contingent des tués. Trop fringants !
Dans l’escalier, il lui donnait encore les derniers conseils.
— Jamais de calembours. Ils sont passés de mode, et on les méprise fort. « Le calembour, éteignoir de l’esprit » !
— Voltaire, releva Ponceludon. Ma lecture de chevet.
— Ah, Voltaire ! soupira le marquis rêveur, comme s’il pensait à une belle actrice. Une dernière chose... (et il détacha les syllabes de chaque mot pour être mieux entendu). Ne riez jamais à vos propres mots !
Un laquais les annonça. L’entrée de Ponceludon fut d’autant remarquée que son pouvoir d’amener Bellegarde dans son sillage faisait évaluer son crédit en proportion du discrédit de son compagnon. Ils étaient les derniers attendus, et complétèrent l’harmonieuse disposition circulaire des invités. La comtesse considérait ce cénacle choisi avec gourmandise.
Les deux amis avaient fait leur entrée à l’heure des commentaires piquants sur la récente abolition par le roi de la Question Préalable dans les procès. On espérait Mgr d’Artimont brillant sur le sujet, et l’on fut déçu de l’entendre se féliciter platement de l’abandon d’un si horrible usage, héritage de l’Inquisition.
— Des groseilles ! J’ai la passion des groseilles ! J’en mangerais autant que Samson a tué de Philistins !
L’abbé de Vilecourt venait, en accueillant avec emphase le compotier de fruits rouges, de mettre un terme à une conversation qui menaçait d’être déplacée, dès lors que l’esprit de sérieux avait fait son entrée dissonante.
L’abbé avait tant d’esprit qu’il donnait aux imprudents l’illusion qu’ils en avaient aussi. Bellegarde se sentit pousser des ailes.
— Ah, nous les aimons tous, les groseilles ! Et si Samson...
Il hésita, saisi par un vertige.
— Et si Samson...
Et puis plus rien ne vint. Un gouffre insondable le happait.
Qu’avait-il bien pu vouloir dire ? Il n’en avait plus, lui-même, la moindre idée, et se serait trouvé en très fâcheuse posture si quelqu’un avait prêté la moindre attention à ses paroles. Mais une longue habitude de retenue bienséante, devenue une seconde nature, l’avait fait s’exprimer d’une voix sourde. Ses paroles, à son grand
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