Ridicule

Son accent autrichien ne parvenait pas à gâter la fraîcheur de son timbre.
    « Elle est si belle qu’elle semble fausse ! » pensa le jeune ingénieur, émerveillé par tant de grâce et de blondeur, et pour qui la perfection, hors de la géométrie, relevait de l’illusion. Elle avait encore des brusqueries enfantines dans ses gestes de reine qui ravirent le jeune provincial. Lui qui avait honni la monarchie dépravée, tortionnaire de Damiens, il était maintenant prêt à se faire tuer sur place pour une reine si blonde.
    — Blayac ! fit-elle en s’approchant de la comtesse. Puis-je vous emprunter l’abbé ? J’ai une partie de piquet, mais il n’y a que des ennuyeux. Un esprit vivace ne sera pas de trop !
    La reine se trémoussait comme une petite fille gourmande, tandis que l’abbé roucoulait quelques protestations sucrées. Ponceludon pensa à un sucre d’orge vénéneux, il avait envie de l’arracher des mains de la reine.
    La comtesse eut un sourire d’indulgence soumise pour signifier qu’elle abandonnait son abbé à sa reine capricieuse.
    — Je vous le rendrai, ma tendre amie.
    La légèreté mutine de la jeune femme faisait oublier la souveraine, et permettait aux courtisans les plus plats de déguiser leur bassesse en indulgence coupable.
    La reine quitta le salon comme elle était venue, avec un abbé ajouté à sa suite, son rire joyeux se répercutant decrescendo à mesure qu’elle s’éloignait dans le silence des révérences. Remis de son éblouissement, Ponceludon s’esquiva vers les jardins pour profiter des derniers moments de fraîcheur.
    — Je ne sais s’il le doit à vos soins, mais votre jeune assommé semble avoir retrouvé tous ses esprits, dit la comtesse en rejoignant Bellegarde.
    Agilité de conversation certaine, hasarda Bellegarde, comme on « passe » aux cartes, en attendant que sa partenaire se découvre.
    — Je ne vous vois pas très souvent à mes goûters, marquis !
    — Quand vous m’y conviez, madame.
    Pour cet humiliant aveu de sa position de «parent pauvre », Bellegarde avait marqué d’un sourire qu’il n’était pas dupe de l’étonnement de la comtesse.
    — Ai-je besoin de vous inviter ?
    Et pour mieux feindre la réprimande, elle accompagna son exclamation d’un affectueux petit coup d’éventail sur l’épaule du marquis. -
    — Et venez donc avec votre protégé ! ajoutat-elle comme s’il se fût agi d’une condition facultative.
    Que s’il se fût aventuré impromptu chez la comtesse, il eût été traité en importun, ni Bellegarde ni elle n’en doutaient ; mais, de même que le roi est le premier des gentilshommes de la cour, un noble doit à ses pairs de rang supérieur des égards de courtisan. Aussi le marquis de Bellegarde eut la sagesse très commune de s’incliner en pénitent devant les torts qu’avait envers lui la comtesse. De même qu’il feignit d’ignorer qu’on ne désirait le voir que pour autant qu’il était accompagné.

 
    V
    « Imaginez un jardin de Le Nôtre. Correct, ridicule et charmant. »
    Paul Verlaine
    Ponceludon contemplait tristement les jardins en songeant aux marécages d’autrefois, sur l’emplacement desquels Le Nôtre avait dessiné son chef-d’oeuvre de feuilles et de fleurs, par la volonté d’un roi avide de célébrer sa propre grandeur. Qu’y avait-il d’intéressant à faire pour un roi dans la Dombes, hormis le bonheur de son peuple ? Et c’était bien peu, pensait le jeune homme.
    Les tempes du marquis de Bellegarde lui battaient. Maudissant les ifs coniques et les bosquets qui empêchaient que l’on pût embrasser d’un seul regard les promenades, il arpentait les allées en tout sens. Cet intéressant jeune homme qui lui ouvrait le salon de la comtesse, pouvait-il avoir disparu ? Même improbable, cette hypothèse lui donnait le vertige. Enfin, il l’aperçut, mélancolique promeneur, hasardant ses pas vers le bassin des nymphes.
    — Monsieur !
    Il avait fondu sur lui, hors d’haleine, mais jouait la comédie désinvolte d’une heureuse rencontre.
    — ...Vos premiers pas nous autorisent quelque espoir !
    — Ce méchant petit abbé est un intime de la reine, et je m’en suis fait un ennemi ! soupira Ponceludon sans se donner la peine de répondre au sourire ravi du marquis.
    — C’est le bel esprit qui ouvre les portes, continuait Bellegarde, plein d’une confiance sans faille. Et vous n’en êtes pas dépourvu !
    — Qui se