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Ridicule

Ridicule

Titel: Ridicule Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Remi Waterhouse
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point avec votre « à la bouche ». Dommage que vous ayez ri.
    Mais Ponceludon était déjà descendu de la voiture.
    Il n’y avait pas une semaine qu’ils habitaient ensemble, et le jeune hobereau était déjà parvenu à se protéger des incessantes tentatives de son hôte de lier conversation et de déployer ses raisonnements érigés en système à tout propos. Au début, il se réfugiait dans sa chambre, mais il ne tarda pas à s’enhardir jusqu’à rester dans la bibliothèque sans plus lever les yeux de son livre quand l’autre le prenait à témoin d’une opinion qui lui venait impromptu. Bellegarde n’en prenait pas ombrage et continuait à discourir à perte de vue, sans rien réclamer de plus qu’une présence physique. La seule pensée qu’un jeune disciple — autant dire un fils — logeait sous son toit était parvenue à redonner à M. de Bellegarde le sommeil qu’il avait si mauvais depuis la mort de sa femme.
    Ce soir-là, pourtant, Bellegarde restait étrangement silencieux. Juste avant souper, il fit irruption dans la bibliothèque où Ponceludon consultait un ouvrage de géographie, et le pressa de le suivre au salon. Sur la table étaient posés un grand nombre d’objets divers. À côté, un guéridon était vide.
    — Pendant que je tourne le dos, prenez dix objets sur la table, et posez-les sur le guéridon. Au hasard. Quand ce sera fait, prévenez-moi.
    Ponceludon s’exécuta et déposa sur le guéridon dix objets, non pas choisis au hasard, mais dans un souci d’harmonie. Il les avait disposés selon une inspiration raisonnée, comme un peintre arrange son modèle pour une nature morte, et n’était pas mécontent de sa création, que la lueur du crépuscule nimbait d’un halo, et sur laquelle l’âtre projetait des lueurs rouges et jaunes. À son signal, Bellegarde se retourna, et regarda avidement le guéridon, comme un affamé regarde un repas. Puis, brusquement, il tourna le dos au spectacle qu’il avait dévoré des yeux un instant auparavant.
    — Je vais vous réciter la liste des dix objets qui se trouvent sur le guéridon. Notez, je vous prie, mes erreurs... Un violon, une bible, un couteau, un gant, un bouchon de cristal, une plume...
    Ponceludon le regardait hésiter, les traits chiffonnés par une concentration extrême. Il se demandait quelle étrange passion animait son hôte.
    — ...une poire à poudre...
    Le marquis serrait les poings dans son effort pour évoquer les images qui fuyaient vers l’oubli.
    — ...une lancette ?
    — Non, monsieur. Réfléchissez.
    — Je ne fais que cela, morbleu ! Une lunette ?
    — Non.
    Ces objets figuraient bien sur la table, mais pas sur le guéridon.
    — Un... une loupe ?
    Comme la douleur d’une contention d’esprit trop soutenue se lisait sur les traits du marquis, Ponceludon prit d’entre les objets une pomme, et mordit dedans. Le craquement du fruit mordu fit se retourner Bellegarde, vif comme un ressort.
    — Une pomme ! Comment ai-je pu l’oublier !
    Il contemplait le guéridon, vaincu.
    — Une pomme, et un éperon ! C’était pourtant facile !
    — Vous n’avez pas regardé assez longtemps, monsieur.
    — Vingt secondes sont plus qu’il n’en faut... Voyez-vous, l’esprit est soumis à la règle des trois R : Réminiscence, Rapidité, Rivalité. J’entends par réminiscence la faculté de faire remonter à la disposition de votre conscience les faits, les noms, les mots ou dates qui, en s’associant, vous présenteront l’opportunité d’un bon mot. La mémoire en est la base. Plus la rapidité de cette opération est grande, plus grande sera la probabilité d’une association heureuse. Ces deux qualités fondent tous les bons mots. Mais il y faut un adjuvant. Une qualité de l’âme qui a peu à voir avec les vertus de la cervelle elle-même. C’est la rivalité. Sans désir de jouter, on ne fourbit pas d’armes. La placidité est aux jeux de l’esprit ce que la froideur est aux jeux de l’amour. Comprenez-vous ?
    Ponceludon écoutait le marquis avec une attention qu’il ne lui accordait pas toujours, car c’était là la grande affaire de sa vie, et il en parlait avec une chaleur particulière qui touchait le jeune homme.
    — Rien ne m’est plus étranger que cette qualité-là, monsieur.
    — Elle vous est si naturelle, au contraire, que vous ne vous y arrêtez pas !
    Le souper pris, les deux hommes se firent servir une liqueur par Charlotte dans la

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