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Ridicule

Ridicule

Titel: Ridicule Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Remi Waterhouse
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bibliothèque. Bellegarde sortit de la poche de son habit son précieux carnet. C’était un in-8 relié de cuir vert, corné et taché par l’usage, épais d’environ deux cents pages. Bellegarde avait ouvert le carnet au hasard. Les pages étaient noircies d’une écriture serrée et peu soignée, à la mine de plomb. Des annotations et des renvois, des surcharges et des ratures la rendaient presque illisible.
    — Je note tous les mots d’esprit dans ce carnet. Puis je les reporte dans ces registres que vous voyez.
    Il montra onze volumes serrés dans un rayon de sa bibliothèque...
    — C’est mon rayonnage d’esprit, dit-il avec un sourire. J’ai utilisé en la perfectionnant la classification de M. d’Ouville... Chacun de ces registres est consacré à une catégorie particulière de tournures d’esprit.
    Il énumérait les titres soigneusement calligraphiés, au dos des reliures.
    — Naïveté, Gasconnade, Quolibet, Équivoque, Brocard et Calembours sont de peu de prix. Dans un ordre croissant de raffinement, on trouve ensuite : Amphigouri, Plaisant Paradoxe, Boutade Maligne, Bagatelle Piquante , et Saillie Drolatique. Il y a dans ces volumes tous les mots d’esprit entendus par moi à la cour depuis vingt ans.
    Ponceludon parcourait du regard les rayonnages voisins, où l’on trouvait les cinq volumes de L’Art d’Orner l’Esprit, suivi de six autres de la Bibliothèque des Gens de Cour, de Gayot de Pitival. Du même auteur encore, Esprit des Conversations Agréables, qui côtoyait des Bons Mots et des Bons Contes, ainsi que du Bel Esprit de M. de Caillières, Jeux d’Esprit et de Mémoire du marquis de Châtre, et Conte aux Heures Perdues du sieur d’Ouville.
    — Votre « À la bouche » est une Saillie Drolatique, reprit Bellegarde. Il sera reporté dans le volume que voici, avec sa date, son auteur, et la conjonction de conversation qui vit son éclosion.
    Ponceludon sourit de la passion du marquis d’ordonner le champ si chaotique de l’esprit. L’ingénieur sortit au hasard le registre marqué Plaisant Paradoxe , et en consulta distraitement l’index. Il y lut le nom d’Amélie de Blayac, et se reporta à la page indiquée en regard du nom, alors que Bellegarde l’observait d’un oeil brillant d’intérêt et de malice.
    En haut, à gauche on pouvait lire une date, le 24 août 1765, le nom de la comtesse, Amélie de Blayac , et en dessous, la notice suivante, écrite de la main du marquis :
    Ce jour, Mme des Fallières amena à la cour sa fille de quinze ans, Amélie, dans l’intention de présenter la jeune personne au roi. Mme des Fallières avait une réputation d’excessive coquetterie, et l’on disait que le fameux comte de Saint-Germain lui-même lui avait fait don des fards et des onguents dont elle usait pour pommader son visage. Les habitués de la cour furent surpris de la voir en compagnie d’une fille si resplendissante de beauté et de fraîcheur, car elle passait pour la cacher afin de ne pas donner prise aux estimations de son âge que beaucoup hasardaient.
    Quand le roi arriva à la hauteur de Mme des Fallières, il s’enquit de la jeune beauté qui l’accompagnait.
    « C’est ma fille, Majesté. »
    Alors le roi, s’adressant directement à Amélie des Fallières, lui demanda son âge.
    « Le même âge que ma mère, Majesté. »
    La réponse de la jeune fille fit beaucoup rire le roi et demeura célèbre.
    Ponceludon remit le document à sa place et resta songeur.
    — La fin de l’histoire vous intéresse-t-elle ?
    Ponceludon leva les yeux vers son hôte.
    — La cour s’enticha de la jeune personne sur l’esprit de laquelle le roi ne tarissait pas d’éloges, dit Bellegarde. Au point qu’elle fut sa maîtresse. Plus tard, devenue comtesse de Blayac, elle a connu les fortunes en cour qui l’ont mise où elle est. Quant à Mme des Fallières...
    Bellegarde baissa les yeux, comme gêné par lâ fin de son histoire.
    — Quant à Mme des Fallières, elle fut la risée de tout ce que la cour comptait de beaux esprits. Elle endura les pires ridicules, on fit des épigrammes plaisantes sur sa mésaventure. La chose était d’autant plus réjouissante qu’elle avait été, avant sa fille, la maîtresse du roi. Elle succomba au ridicule et à la disgrâce et tomba malade avant de se retirer dans un couvent. Elle mourut sans revoir sa fille, à qui elle avait procuré l’occasion d’un si joli mot, à ses dépens. On dit

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