Ridicule
qu’avant l’extrême-onction, prise de délire acariâtre, elle la maudit.
Ponceludon alla à la fenêtre, pour y regarder la nuit au-dehors. Il ne comprenait plus, soudain, ce qu’il était venu faire à Versailles, et le doute l’envahissait, jusqu’à l’oppresser. Bellegarde, chose rare, respecta son silence.
— J’ai fait un rêve étrange, la nuit dernière, finit par dire le jeune homme sans se retourner. J’avais la tête sur le billot, et le bourreau me dit...
Bellegarde l’interrompit pour conclure :
— « Un bon mot, et tu as la vie sauve. »
Ponceludon avait sursauté, comme un dormeur au sortir d’un rêve qui persiste au réveil parce qu’un bruit qui tenait sa place dans le concert des songes est un tapage bien réel. Incrédule, il regardait Bellegarde dont les yeux pétillaient.
— Ce rêve-là, nous l’avons tous fait, à la cour.
Le marquis aimait le rire enfantin et clair de Ponceludon, aussi ne le reprit-il qu’avec la plus grande indulgence :
— Perdez cette habitude de rire de toutes vos dents, c’est infiniment rustique !
Et le jeune homme de rire de plus belle.
Les jours passèrent, charmants et inutiles pour Ponceludon, chatoyants d’espérances et de félicité pour Bellegarde. L’ingénieur ne croyait pas un instant qu’on pût assécher la Dombes par la vertu d’une conversation agréable et piquante, comme son ami le lui répétait, mais il n’imaginait pas de revenir à Rillieux les mains vides. Il lui fallait rester sous le toit de Bellegarde, se prêter à sa stratégie mondaine hasardeuse, en attendant qu’une rencontre plus heureuse lui ouvre un passage vers le roi. La réussite était incertaine, mais il n’y avait pas d’alternative.
Pour Bellegarde, cette alliance était inespérée, non seulement parce qu’elle lui procurait d’ineffables joies de conversation, même si la plupart du temps le rôle de Ponceludon se réduisait à opiner distraitement, mais aussi parce que la présence du jeune homme à ses côtés lui rendait son lustre mondain terni au fil du temps. Ce monde était trop dur pour l’affronter seul, qu’on fût jeune, brillant et sans expérience, ou madré et quelque peu perclus d’esprit. Il pensa à l’aveugle et au « paralysé de la fable de Florian, et s’en trouva réconforté. À deux, en restant soudés, ils réuniraient la fougue et l’expérience, les deux qualités que la vie n’offre jamais de posséder simultanément.
Alors que Ponceludon, déjà couché, lisait à la lueur de la chandelle, Bellegarde gratta à sa porte. Ce n’était pas son habitude de déranger son hôte dans sa chambre. Un livre à la main, en cheveux et vêtu de sa seule chemise, il demanda la permission de s’asseoir.
— Je n’ai pas résisté au désir de vous faire partager un plaisir de lecture.
Il approcha le livre de ses yeux et de la chandelle, et commença sa lecture à haute voix :
— «La réputation de bel esprit coûte bien à soutenir. Je ne sais comment tu as fait pour y parvenir.
Il me vient une pensée, reprit l’autre : travaillons de concert à nous donner de l’esprit ; associons-nous pour cela. Chaque jour nous nous dirons de quoi nous devons parler [...]. Nous conviendrons des endroits où il faudra rire tout à fait et à gorge déployée. Tu verras que nous donnerons le ton à toutes les conversations, et qu’on admirera la vivacité de notre esprit et le bonheur de nos reparties. Nous nous protégerons par des signes de tête mutuels. Tu brilleras aujourd’hui, demain tu seras mon second. »
Bellegarde interrompit là sa lecture. Montesquieu. Lettres persanes. Rica à Usbek.
Il referma le livre et dévisagea l’ingénieur, les yeux mouillés d’attendrissement. Le marquis eut un geste inattendu : il prit la main de Ponceludon entre les siennes et la tint serrée, tendrement, comme on réconforte un malade.
— Vous pouvez bien me croire que je déraisonne... mais Montesquieu !
Ponceludon lui retira sa main.
— Montesquieu critiquait nos moeurs.
— La question est de savoir si vous désirez réformer nos moeurs, ou assécher la Dombes. Croyezmoi... unis nous serons des lions. Seuls, nous sommes des agneaux.
VI
« Ce n’est pas assez de dire un bon mot ; il faut le répandre et le semer partout [...] »
Montesquieu
Ce matin-là, Ponceludon fauchait les herbes hautes quand un carrosse s’engagea dans l’allée et s’arrêta à distance respectueuse de la
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